L’exposition Cheveux Chéris , qui se tient au Musée du Quai Branly, et ce jusqu’au 14 juillet 2013, aborde la question du cheveu sous des angles anthropologique, ethnologique et artistique.
Ce qui me permet de dégager la problématique du cheveu comme apparat esthétique.
Aujourd’hui, en Inde du Sud, les croyants offrent leurs cheveux, c’est-à-dire leur plus belle parure, au dieu Venkatesshwara : de cette offrande, ils espèrent la prospérité, ou une guérison. (1)
La chevelure a une grande importance, signe de féminité, symbole de beauté, elle informe sur la santé : de beaux cheveux sont synonymes d’un bon état de santé. L’esthétisation capillaire est un signe de mode.
Les enjeux culturels des faux cheveux
Les rajouts de cheveux, une pratique qui tend à féminiser et embellir.
Au XXème siècle, la capitale française est une place réputée pour la vente des cheveux. Limoges se distingue aussi lors de sa grande foire de juin, le jour de la Saint-Jean, ainsi que Marseille, port international où transitent les cheveux siciliens et chinois ; on y fabrique deux cent mille chignons par an ! Des « coupeurs » ou des « tondeurs » sillonnent les campagnes françaises en quête de la précieuse matière première et beaucoup de femmes, comme la mère de Cosette dans Les Misérables de Victor Hugo, sacrifient leur plus belle parure pour quelques sous. Dans ce grand commerce, la France est très bien placée, l’exportation de postiches lui rapportant en 1865 plus d’un million de francs.(2)
Au travers des perruques, les gens de la cour se livraient à un certain travestissement, tout en livrant aux fantaisies les plus fantasques. Les coiffures et perruques gigantesques sont les pièces maîtresses d’une silhouette élaborée et sophistiquée ; en effet, les costumes des années 1770 incluent une réelle importance à l’esthétique apportée par ces appendices capillaires, selon les différentes modes de la cour. Cependant, ces coiffes de grande ampleur illustrent une certaine superficialité.
Robe à la française,Vers 1780, France. © Kristiina Wilson
Soigneusement apprêtés, colorés, permanentés, les cheveux morts de la perruque font partie depuis toujours de l’attirail de la coquetterie et de la beauté en compensant les défaillances de la nature et en multipliant l’originalité des coiffures. (…)Mais à l’exception des courtisanes et des toilettes d’apparat, on n’appréciait guère la tromperie. Dans l’Occident chrétien, la bataille contre les perruques a été tôt menée par les hommes d’Église. Comment oser s’affubler des cheveux d’une femme peut-être pestiférée, peut-être damnée ? Bien que la Bible parle à plusieurs reprises de postiches ou de tresses en poils de chèvres, Clément d’Alexandrie fulmine contre les coquettes qui posent sur leur tête la dépouille des mortes : « Car sur quoi le prêtre pose-t-il les mains lorsqu’il vous bénit ? Sur des cheveux d’étrangers et donc sur une autre tête… »C’est au milieu du XIIème siècle que la polémique en Europe devient la plus vive.(3)
En quoi la perruque peut-elle altérer la personnalité ? L’image du prêtre qui pose la main sur des cheveux qui ne sont pas ceux de l’intéressé(e) illustre cette problématique. La perruque, le postiche et autres apparats capillaires altèrent l’apparence physique d’une part, le comportement de l’individu et son rapport à son propre corps ainsi qu’à sa féminité et à son identité d’autre part.
Anna Schwamborn, Rosary, (Human hair, Black Bone China including cremated ashes, gold plated silver), 2009.
Cette collection d’objets, bijoux a été produite avec de réels cheveux humains et de la porcelaine de Chine, mélangée à des cendres humaines. L’artiste souhaitait accomplir un travail de conscience et de commémoration : une sorte de symbiose naît entre le porteur de ces créations et l’esprit de la personne dont appartenaient les cheveux – et ce même après la mort. Autrement dit, le cheveu post-mortem a ici une double valeur, à savoir esthétique et symbolique.
Bien qu’ayant l’apparence de bijoux, cette collection d’objets est supposée rappeler au porteur la fragilité de la vie, l’encourager à apprécier la vie, et, le plus important, il fait office d’objet que l’on garde en souvenir (4), dépassant alors sa propre valeur décorative et/ou esthétique.
Aussi est-elle [la chevelure] depuis toujours, un objet de culte et d’adoration. La mèche de cheveux précieusement conservée n’est pas seulement un objet de souvenir, mais une relique, dépositaire d’émotions et d’intimité. (…) Sur d’autres continents aussi, la chevelure coupée représente une extension de la personne.(5)
Nous pouvons nous interroger sur le caractère éthique de cette œuvre dans la mesure où sont utilisés des éléments organiques, humains post-mortem, à des fins certes symboliques d’une part, mais avant tout artistiques d’autre part. Il s’agit du même problème rencontré avec les perruques du XVIIIème siècle : n ‘est-il pas immoral d’utiliser des cheveux d’humains morts – ou non – à des fins esthétiques ?
Déjà durant les siècles précédent, le commerce de cheveux s’étendait jusqu’en Europe : Sur le marché, les cheveux des filles de campagne sont préférés à ceux des citadines tandis que ceux des hommes ne valent rien ; les cheveux chinois doivent être affinés pour plaire à la clientèle européenne ; les cheveux roux et blond doré, importés d’Écosse, sont très prisés. Dans ce grand commerce, la France est très bien placée, l’exportation de postiches lui rapportant en 1865 plus d’un million de francs. Le succès des créations perruquières ne se dément pas durant le XXème siècle: chignons et postiches de grand soir ou coiffures quotidiennes. Hollywood a relancé la mode de la perruque et c’est de l’Inde que proviennent aujourd’hui les tonnes de cheveux récupérés aux abords des temples dédiés à Vishnou, cheveux sacrifiés par des dévotes hindoues, ; la filière rapporte un profit de quarante tonnes collectées, un cinquième vient fournir le demande européenne : recyclés, traités, teints (…), ces cheveux sont destinés au monde entier.(6)
D’ailleurs il s’agit d’un débat actuel au sein de la communauté afropéenne et africaine : la pratique des extensions capillaires permettrait-elle de « singer » l’Européenne? Ou ces pratiques capillaires – perruques, tissages, extensions capillaires en tout genre – représentent-elles un réelle signe de féminité et un moyen de renforcer le pouvoir de séduction de la femme ?
Le cheveu, le poil, dans la démarche artistique.
Le surréallisme joue sur les rapprochements insolites. Il s’inspire de la phrase célèbre de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie. » Les objets surréallistes procèdent du même principe. Tasse garnie de fourrure chez Merret Oppenheim, boutille sur laquelle est peinte une femme nue chez Magritte, il s’agit à chaque fois de surprendre, de « disturber ». Leur effet est troublant, onirique.(7)
En effet, le Déjeuner en Fourrure (1936) de Meret Oppenheim trouble dans la mesure où la fonction première de l’objet, à savoir la tasse, s’en trouve altérée. La fourrure absorberait la boisson et il serait alors impossible d’y boire. De plus, les poils confèrent à la tasse un caractère repoussant, ce qui contraindrait quiconque de la porter à ses lèvres.
Meret Oppenheim , Déjeuner en Fourrure, 1936
Les artistes Billie Mertens et Justin Morin ont produit des colonnes sensées représenter les ambiances capillaires des villes de Paris et de Berlin. La colonne de Paris – à droite – est plus sobre, et on peut y reconnaître les coupes de cheveux phares des créatrices de mode Sonia Rykiel ou encore Chantal Thomas, tandis que celle de Berlin est davantage représentative d’une culture punk et de tendances capillaires plus subversives.
En effet, Berlin est une ville en pleine effervescence artistique; ce qui se manifeste une pluralité de styles novateurs et singuliers. Paris est une ville à l’esprit plus traditionnel, dont le « chic » légendaire et raffiné à su séduire le monde entier.
JUSTIN MORIN et BILLIE MERTENS, Babylone, 2009.
Vue de l’exposition Dysfashional © Virginie Echene
Artiste parisien en résidence à Berlin au cours de 2009, Justin Morin a développé un travail de broderie contemporaine, qui croise les domaines de l’art et de la mode. Pour Dysfashional, il s’associe à la styliste belge Billie Mertens, collaboratrice régulière du Festival International de la Mode et de la Photographie de Hyères et nous présentent Babylone : un ensemble de sculptures capillaires, à mi-chemin entre colonne ouvragée et totem, qui abordent le territoire de représentation identitaire de la coiffure. (8)
JUSTIN MORIN et BILLIE MERTENS, Babylone, 2009.
Vue de l’exposition Dysfashional © Virginie Echene
Nous pouvons constater à travers cette œuvre, que la coiffure et la matière capillaire, utilisées comme révélateurs identitaires, ont des enjeux aussi bien artistiques que sociaux, dans la mesure où ils permettent une comparaison entre l’atmosphère de ces deux villes.
Petros Chrisostomou, 2008, Courtesy of Galery Xippas Paris/Athens.
Dans un autre style, l’artiste grec Petros Chrisostomou propose des sculptures capillaires, qu’il photographie de manière à ce que le spectateur croit qu’elles sont gigantesques – l’artiste brouille les pistes au niveau de l’échelle.
Un sentiment de stupeur ne peut que le gagner – le spectateur – devant cette masse de cheveux. Ainsi cet artiste parvient à donner une valeur artistique et décorative à ces perruques, en les décontextualisant. Elles sont réduites ici à un statut de matériel artistique.
Kristina Wilson, for Karen Magazine in 2009, Photographed by Kristina Wilson.
Kristina Wilson utilise ici le cheveu comme matériau de création et produit des accessoires de mode. Ils fonctionnent comme un prolongement de la chevelure du modèle et perturbent visuellement le lecteur, perdu dans cette confusion esthétisante.
Cependant, des couturiers des artistes incluent le cheveu – ou poil animal – dans leurs créations. Chez Martin Margiela c’est le manteau-cheveux, chez Givenchy, ce sont de longs poils noirs de chèvre qui sont intégrés sur les vêtement de la collection: la fibre capillaire détient ici une valeur esthétique intrinsèque forte.
Maison Martin Margiela Maison Givenchy
Samuel Fosso change d’identité au travers de ses différentes coupes de cheveux; ce qui lui permet d’endosser le rôle , le temps d’une photographie, d’une grande personnalité africaine. De Nelson Mandela, à Patrice Lumumba, en passant par Angela Davis, l’importance de l’esthétique capillaire est majeure, et sert d’appui au travail sur l’identité de l’artiste.
Samuel Fosso, Série African Spirits, 2008
Vue de l’exposition Cheveux Chéris, Musée du Quai Branly © Virginie Echene
Samuel Fosso, Série African Spirits, 2008
Vue de l’exposition Cheveux Chéris, Musée du Quai Branly © Virginie Echene
Mauro Pinto, Batman, 2008
Vue de l’exposition Cheveux Chéris, Musée du Quai Branly © Virginie Echene
Sur un ton humoristique, le modèle de cette photographie de l’artiste Mauro Pinto, devient le héros Batman, grâce à une coiffure des plus singulière…
Références:
(1) Marie-Christine Auzou et Sabine Meechio-Bonnet, Les vies du cheveu, Edition Gallimard, 2001 (p.29)
(2) Marie-Christine Auzou et Sabine Meechio-Bonnet, Les vies du cheveu, Edition Gallimard, 2001. (p. 44)
(3) Marie-Christine Auzou et Sabine Meechio-Bonnet, Les vies du cheveu, Edition Gallimard, 2001.
(4) Robert Klanten, Hair’em Scare’em, Edition Gestalten, Berlin, 2009, p.96.
(5) Marie-Christine Auzou et Sabine Meechio-Bonnet, Les vies du cheveu, Edition Gallimard, 2001. (p.17 à p.19)
(6) Marie-Christine Auzou et Sabine Meechio-Bonnet, Les vies du cheveu, Edition Gallimard, 2001. (p.44-45)
(7) L’aventure de l’art au XXème siècle, édition du Chêne, 1999, (p.683).
(8) Extrait du dossier de presse de l’exposition Dysfashional Paris-Berlin, qui s’est tenue à l’espace du Désir (75010) du 30 Octobre au 29 novembre 2009.
http://www.passagedudesir.com/media/presse/142_dysfashional%20FRANCAIS%20light.pdf
En + :
http://www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/a-l-affiche/cheveux-cheris.html
http://www.passagedudesir.com/evenement.php?idp=27&lg=FR
© Virginie Echene.
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