(…) lorsque (Ford soit loué!),les yeux tout ronds et avec le museau de cochon que leur donnaient leurs masques à gaz, les policiers firent irruption dans le local.
– Hé! là-bas,vous! appela le Sergent, et, un policier à masque de porc se précipita à travers la pièce (…)
extraits tiré de Le meilleur des mondes, 1932 d’Aldous Huxley,(respectivement p.265 et p.268 pour l’édition Pocket)
Depuis la nuit des temps le cochon est perçu comme un animal sale et nuisible à la santé de l’homme. Qualifié d’impur, il serait le vecteur de maladies en raison de son mode de vie et du fait qu’il soit omnivore. Le cochon incarne par excellence les travers de l’homme : ainsi peut être comparé à un cochon une personne qui est très porté sur le sexe ou qui mange en salissant la table et/ou ses vêtements.
Manger de la viande de porc est considéré comme un péché dans certaines religions : « Et le porc, qui a bien le sabot fourchu et fendu mais qui ne rumine pas; vous le tiendrez pour impur. Vous ne mangerez pas de sa chair et ne toucherez pas à son cadavre. ([Deutéronome, 14:8] Ancien Testament de la Bible)
Cet animal est encore perçu négativement aujourd’hui dans les sociétés.
Le parallèle entre l’oeuvre de Keith Haring et le graphisme d’Emory Douglas (Black Panther) sur la figure du cochon
C’est en 1966, dans les Etats-Unis secoués par les mouvements des droits civiques, que naît le Black Panther Party. Entre actions sociales, politiques et économiques, les Black Panther fonctionnent comme une entité autonome au sein d’un état raciste et suprémaciste blanc.
Dans le graphisme révolutionnaire Black Panther, le cochon incarne les caractéristiques négatives de l’homme blanc du XXème siècle. Une transposition contemporaine est faite de l’homme à l’animal et non de l’animal à l’homme.
© Emory Douglas, Black Panther Newspaper, 1967
SCB: Je sais que cela faisait partie de la rhétorique, mais qui a eu l’idée d’utiliser le terme « porcs » pour désigner les officiers de police ?
ED: Huey et Bobby. Ils avaient l’habitude de les appeler « cochons », « porcs ». Au départ, Huey m’a demandé de faire le dessin humoristique d’un cochon. Chaque semaine, nous mettions le numéro d’insigne de police sur ce « cochon » qui avait harcelé les membres de la communauté. Au fur et à mesure que je dessinais, je me demandais de quelle manière je pouvais l’améliorer. Et il me vint à l’esprit de le représenter debout sur ses sabots, habillé comme un officier de police, et ce toujours sous la nature d’un cochon. *
© Emory Douglas, Black Panther Newspaper, 1968
Emory Douglas produit et retranscrit les codes graphiques selon lesquels le cochon symbolise le policier blanc commettant des actes de violence sur les membres de la communauté noire. Par extension, l’animal représente également l’idéologie capitaliste et ses méfaits sur les sociétés à l’échelle internationale. Sont dénoncés la colonisation, la ségrégation raciale, l’inégalité des richesses ainsi que les guerres menées par les Etats-Unis.
La connotation négative du cochon perdure, sauf qu’elle se complexifie pour dénoncer des abus à l’échelle locale, nationale et internationale.
Les dessins satiriques de Douglas ont un poids dans la communauté noire américaine et sert de réel support de l’idéologie du Black Panther Party. Réel outil de contestation de la suprématie et de l’hégémonie blanches des valeurs universalistes, ces images sont des éléments subversifs dans la société américaines des années 1960-70. La figure du cochon caractérise les policiers, les membres du gouvernement américain, le racisme et la suprématie blanche, les pays occidentaux s’alignant sur la politique des Etats-Unis, mais aussi l’idéologie capitaliste.
© Emory Douglas, Black Panther Newspaper, 1970
© Emory Douglas, Black Panther Newspaper, 1970
Réduits à un animal soumis aux préjugés religieux, leur crédibilité s’en trouve altérée. Sur la même lancée, les perceptions imposées par un certain racialisme sont bousculées sur une base manichéenne où le mouvement culturel Black is Beautiful distance le policier blanc hybride mi-humain mi-cochon, rouage d’un système capitaliste néfaste pour le monde entier.
On assiste à une inversion des valeurs qui vont laissé des traces historiques.
Le symbole du cochon dans l’oeuvre de l’artiste Keith Haring
Vue de l’exposition Courtesy – Musée Moderne de la ville de Paris
Vue de l’exposition Courtesy of Musée Moderne de la ville de Paris
Près d’une décennie après Emory Douglas et les Black Panther, Keith Haring reprend la figure du cochon dans sa démarche artistique très engagée.
Uniquement intéressé par le profit et les gains, la figure du cochon chez Haring incarne le système capitaliste. Ses yeux suintent la haine : il est comme obnubilé par sa soif de nuire. Il se nourrit aveuglément du peuple.
Monstrueux et gigantesque – il occupe tout le cadre de l’espace pictural – le cochon dépeint par Keith Haring, entre également dans une démarche révolutionnaire de dénonciation. L’épuration du dessin frôle une naïveté graphique qui lui permet d’aborder les thèmes les plus sensibles, et d’entrer dans un dynamique de contestation claire.
Keith Haring, Untitled, 1988 Courtesy – Musée Moderne de la ville de Paris
Cependant, certains cochons, produits de l’industrie audiovisuelle, tendent à briser cette image négative, comme Peggy de « The Muppets Show », la porcine très coquette mais qui exprime exagérément son manque d’amour ou encore Babe – littéralement bébé en français – qui devient un héros dans les productions du même nom.
En +:
* SCB: I know that was part of the rhetoric, but whose idea was it to call the police « pigs »
ED : Huey and Bobby. They used to call them pigs, swine. See, when it first started, Huey asked me to do a cartoon of a pig. And we were going to put the badge number on this pig each week, who was harassing people in the community. So after that, doing that pig, I had in my mind, how can I improve it? And it just came to me that I could just stand the pig up on his hoofs, and dress him up like a cop, but still have the character of a pig.*
Extrait de Black Panther – The Revolutionary Art of Emory Douglas, ed Stephen Shames 2006 – ST.Clair Bourne « An Artist for the People: An Interview with Emory Douglas » pp 200
En + sur african links : Le film Black Power Mixtape