Les statues et effigies coloniales témoignent presque sans exception, de cette généalogie muette au sein de laquelle le sujet devance la mort qui, à son tour, devance l’objet lui-même supposé tenir le lieu du sujet et du mort à la fois. © Achille Mbembe (1)
Il s’agit de l’un des deux terminus de la ligne 3 du métro parisien : Gallieni. Mais qui était donc l’homme qui a donné son nom à une station du métro parisien ou encore à des axes de communication en France?
La fiche Wikipédia relate parfaitement sa biographie. Administrateur colonial, homme militaire, Joseph Gallieni est une grande figure de l’histoire coloniale française.
Il n’est donc pas si étonnant qu’un monument historique, vestige de l’impérialisme français, soit érigé en sa mémoire, en 1927 (2) et ce à Paris, Place Vauban. Représenté debout, dans une stature impériale, digne d’un empereur, le Général Gallieni est porté, tel un héros par le peuple français. Un peuple français composé de représentantEs de l’empire colonial et du symbole de Marianne.
Les monuments coloniaux dans l’espace public français aujourd’hui
La statue du Général Gallieni est de couleur verte foncée, tandis que les figures symboliques du peuple français sont de couleur du gris de la pierre. Ces figures semblent figées, inertes et pétrifiées. La statue du Général est en mouvement : faisant un salut militaire, il semble confiant, le visage face un vent frais qui souffle et n’effleure que son uniforme. En effet, le visage immuable, son port de tête reste droit, ce qui est un signe de bravoure par excellence. D’ailleurs à travers la citation retranscrite sur l’autre façade du monument : J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur. Ce mandat je le remplirai jusqu’au bout. Paris, le 3 septembre 1914, nous pouvons ressentir toute la détermination d’un homme dévoué à sa patrie, son pays.
Nous pouvons ainsi noter un antagonisme entre la partie supérieure et la partie inférieure du monument. Cette opposition vie/mort se traduit ainsi par le mouvement de la sculpture, la couleur et un autre axe de dualité supériorité/infériorité.
Le Général Gallieni est vivant alors qu’il est décédé. Sa mémoire vit encore aujourd’hui, près d’un siècle après sa disparition.
Qu’en est-il de cette société française ? Nous pouvons reconnaître une Marianne au bonnet phrygien, symbolisant les fondements de la république. Elle regarde d’ailleurs dans la même direction que le Général Gallieni, et est sur le même axe de représentation, ce qui met le symbole de Marianne sur un même pied d’égalité.
Toutes les figures sont représentées le corps drapés ou habillé, excepté la figure « africaine » dont le buste est révélé au public. Cette représentation respecte les codes racistes et impérialistes des années 1920.
La femme noire telle qu’elle est exhibée durant les expositions coloniales, ou représentée à travers l’art pictural ou les photographies des expéditions coloniales européennes, est nue ou à moitié nue, en adéquation avec le mythe du bon sauvage, qui se développe dans l’ inconscient collectif européen. Marianne a en effet remonté ses bretelles depuis La liberté guidant le peuple (1830) d’Eugène Delacroix, pour laisser le rôle de la dénudée à la femme noire.
La liberté guidant le peuple (1830) d’Eugène Delacroix . Source de l’image: Web
Nous pouvons relever également la tenue traditionnelle « asiatique » avec le chapeau conique qui nourrit également cet inconscient collectif.
Sur le bas relief du monument, nous pouvons lire : « Au Général Gallièni – La Ville de Paris – Ce monument a été érigé à la suite d’une souscription organisée par la ligue maritime et coloniale française »
Bien que ce monument soit érigé en hommage au Général Gallieni, il reste un symbole du colonialisme et de l’impérialisme français. Il témoigne parfaitement du fait colonial en France.
L’empire colonial étant ramené sur le même plan que le symbole de Marianne, il constitue un des fondements de la république française.
La France détient-elle les ressources nécessaires aujourd’hui afin de se réconcilier avec son passé d’empire colonial ?
Les autorités françaises sont-elles prêtes à regarder en face les victimes des massacres de Sétif, des tueries dans les hinterlands sénégalais, camerounais, en Indochine ? Tout comme chaque citoyen français est amené à regarder en face ce monument érigé en hommage au Général Gallieni.
En +:
(1) Voir Corps, Statues et effigies (pp.185 – 189) de Critique de la raison nègre, Achille Mbembe, Edition La Découverte, Paris, 2013, 21 euros.
(2) La Place Vauban
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Ma visite du Jardin d’agronomie tropicale de Paris
Textes et photos de Virginie Echene ©tous droits réservés