De l’esthétique et de la conception de la beauté noire à travers la publicité télévisé des produits capillaires Ultra doux avocat & karité de Garnier
Bien qu’utilisant ces produits capillaires personnellement, j’ai tenu à m’interroger sur ce message publicitaire qui m’a inconsciemment ou consciemment poussée à me rendre dans un point de vente, les acheter et en devenir consommatrice.
Source de l’image: Capture d’écran Publicité Ultra Doux Avocat & Karité de Garnier
Le synopsis de la publicité : une petite fille métisse dont la mère est noire et le père blanc- flouté en arrière plan – reçoit un cadeau de la part de ses parents, emballé dans un énorme paquet rose.
La publicité dépeint un portrait de famille idéale pour présenter les produits de la marque Garnier, destinés aux cheveux frisés et crépus dits « extraordinaires ».
La petite fille reçoit dans un énorme paquet cadeau une poupée noire. Elle semble déçue de constater que sa poupée n’ait pas les cheveux frisés comme elle, et ne peut à cet instant de la publicité, s’identifier à cette poupée offerte par ses parents.
Ce cadeau n’est pas anodin et nous dirige vers le test de la poupée blanche et de poupée noire, mené dans les Etats-Unis des années 1950 par le Docteur Kenneth Clark. Les études de ce dernier ont démontré un degré d’aliénation culturelle élevée chez les enfants de la communauté africaine-américaine : ces enfants ne s’identifient en aucun cas à la poupée noire et vont jusqu’à reproduire des principes de stigmatisations sur la poupée dont ils souffrent eux-mêmes dans l’espace social.
Test de la poupée blanche et de la poupée noire mené par le Dr Kenneth Clark, années 1950 Source de l’image: Web
Ici, la petite fille a parfaitement conscience de sa couleur et accepte parfaitement son identité. Or, elle ne peut s’identifier à 100% à cette nouvelle poupée, car la chevelure de la poupée est beaucoup trop lisse.
La séquence suivant les méthodes d’utilisation des produits capillaires, fait un gros plan sur la mise en plis effectuée sur la chevelure de la poupée, dont la publicité semble nous faire comprendre, que la petite fille en serait l’auteur. Fière d’avoir mis des bigoudis sur les cheveux de sa poupée, la petite fille interpelle sa mère pour lui montrer sa manipulation rigoureuse.
Nous assistons par cette action finale, au fait que la petite fille accepte totalement son identité, sous le regard protecteur de sa mère.
La couleur rose des bigoudis et de l’emballage du paquet cadeau est le fil conducteur entre le cadeau fait à l’enfant, qui est une fille donc de sexe féminin, et l’ »héritage capillaire » transmis de la mère à la fille. Cet « héritage capillaire » est soutenue par la phrase d’accroche de la publicité : » Le plus beau cadeau que vous lui avait fait ce sont vos cheveux ».
La poupée est alors réduite à un objet identitaire par sa carnation, ce qui l’éloigne de sa fonction première de jouet. La petite fille est la seule dont le spectateur entend la voix dans la publicité, comme une affirmation de soi, de ce qu’elle est et de ce qu’elle représente, ce qui constitue un point positif pour cette publicité.
Un vocabulaire publicitaire adapté ?
Les mots de la publicité :
Le plus beau cadeau que vous lui avez fait : ce sont vos cheveux.
Garnier crée l’Ultra Doux des cheveux extraordinaires, à l’huile d’avocat pour bien les nourrir, au beurre de karité pour les aider à les coiffer.
Avocat – Karité, l’Ultra Doux des cheveux très secs ou frisés. Qui prend soin de moi ? Garnier.
Cependant, nous pouvons nous interroger sur les formules utilisées pour décrire les cheveux de la gente féminine noire et métissée en France. L’expression « cheveux extraordinaires » est employée afin de décrire les cheveux frisés et très frisés.
L’adjectif « crépu » est soigneusement évincé au profit de « cheveux très secs » et « cheveux extraordinaires ». « Crépu » désigne des cheveux naturellement très frisés. Rien de bien négatif dans la définition. Or, le terme semble péjoratif dans l’industrie de la beauté, et est remplacé par des euphémismes.
Ce même caractère péjoratif qui distingue les cheveux crépus dans l’industrie de la beauté et du cosmétique, est démontré par la capacité des produits de la gamme Ultra Doux Avocat & Karité à « aider à (les) coiffer ». Autrement dit, les cheveux crépus et frisés sont des « cheveux extraordinaires » difficile à coiffer !
Quel est cet ordinaire promut par la marque Garnier dans un spot publicitaire diffusé sur les écrans de télévisions de plus de 60 000 000 de Français?
En les qualifiant d’extraordinaires, la marque Garnier, faisant partie du groupe L’Oréal, situe les cheveux crépus et frisés dans un schéma de comparaison entre ce qui est singulier et ce qui ne l’est pas, dans l’espace social de la beauté en France.
De plus, la publicité expose un seul type de carnation, à savoir la carnation la plus claire de la femme noire. La pluralité de carnations propre aux communautés afro-descentantes est gommée au profit d’un seul modèle de femme noire. La coupe afro semble bien loin de la femme noire type présentée dans la publicité.
Source de l’image: © Getty Images
La mise en scène d’une petite fille métissée dans la publicité permettra néanmoins de s’éloigner de ce genre de situations, dans l’espace privé et sociale.
Source de l’image: Image tirée de l’ouvrage Noir comme le café – Blanc comme la lune de © Pili Mandelbaum
Mea Culpa
Je me suis intéressée au marketing de cette publicité car, je m’y suis reconnue en quelque sorte, bien que je ne sois directement pas ciblée. Je m’y suis reconnue dans le sens où cette gamme de produits Garnier s’adresse aux cheveux frisés et très secs. Mes cheveux sont crépus, dont très frisés et secs: les produits d’adaptent d’une certaine manière à ma chevelure. De plus, le beurre de karité est un produit naturel qui trouve son origine en Afrique de l’Ouest. De par mes origines, je me sens proche sur le plan ethnique, de la composition des produits de la gamme.
J’utilise les produits de la gamme Ultra Doux Avocat & Karité, et je vois dans cette publicité mettant en scène une petite fille métissée qui reçoit une poupée noire, un symbole fort, qui trouve tout son sens par rapport à l’acceptation de son identité et de sa nature de cheveux – problématiques contemporaines au sein des communautés afro-descendantes.
Néanmoins, je déplore le vocabulaire utilisé qui est non adapté au marketing ethnique.
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That’s sad, and unfortunately it is the truth!
J’ai vu la vidéo sur les travaux du Dr Clark. C’est tellement triste de voir à quel point il est difficile pour ces enfants de donner un sens positif à la teinte de leur peau. Encore aujourd’hui, de pareilles connotations négatives intégrées chez les petits altèrent l’égalité des chances de construire une solide estime de soi. Merci pour cette in(tro)spection.
Merci de ton commentaire Culturieuse.
J’ai reçu des remarques inbox. Notamment une qui me disait que la poupée n’était qu’un détail dans la publicité: un cadeau rien de plus! Mais je pense que c’est le contraire, et qu’aujourd’hui avec le pouvoir attribué à l’industrie publicitaire, ce détail qui devient un symbole extrêmement fort trouve tout son sens par rapport au thème de l’acceptation de soi. Voilà pourquoi j’ai établi un parallèle – évident- entre cette publicité et le test de la poupée blanche et la poupée noire.
Tu as tout à fait raison. Pour l’enfant, la poupée peut être un substitut de soi-même dans les jeux de rôle. Toute personne ayant pratiqué un tant soit peu la pédagogie le sait.
[…] ces produits sont adaptés aux cheveux afro. – J’ai juste testé le fameux après shampoing de la gamme Ultra doux Avocat&Karité de Garnier ;) […]
Extrêmement intéressant, bien dit. De mon côté, il y a aussi un autre point qui me gêne dans cette pub, c’est l’arrière plan. Pourquoi le bleu turquoise, les rochers, et cette végétation. Bref, je me trompe peut-être, mais je le sentiment d’être hors métropole. Du coup, je me demande si l’image de ce produit est-il corrélé au hors métropole ? Bref, ça m’a gêné. (Même soucis avec un arrière plan d’une pub E*F au printemps).
C’est une bonne interrogation Bounty Caramel!
En effet, le fait que la publicité se déroulerait hors métropole, dans un DOM ou un TOM par exemple justifie selon moi le qualificatif « extraordinaire », comme étant destiné pour décrire et qualifier tout ce qui ne serait pas de la métropole.
« Noir comme le café, blanc comme la lune » n’est pas une publicité, mais un livre illustre de Pili Mandelbaum.
Bonjour,
Tout à fait. Livre qui a bercé mon enfance. A quel moment avez-vous compris que j’en parlais comme une publicité?
Cordialement,