Back to Natural (2)

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Avant toute chose, je tiens à préciser que je respecte le choix de celles qui choisissent de se défriser les cheveux et/ou se faire des tissages.

Cet article vise à relater mon parcours capillaire personnel, les raisons qui m’ont poussée à mettre certaines pratiques capillaires de côté, ainsi que ma vision sur la question.

J’ai fait appel à des amies avec qui j’ai échangé sur le sujet, afin de confronter mon point de vue avec les leurs.

 

1. My Nappy Story

Phase 1 : « Tout avait si bien commencé »

Juillet 2007, j’ai enfin obtenu mon rendez-vous pour faire un soin dans le salon de coiffure de Madame Josepha, qui a développé sa gamme de produits éponyme Josepha Paris. Le soin consiste en un assouplissement capillaire. Et à la vue de la longue chevelure d’une petite fille qui a l’habitude de faire ces soins, je me dis que j’ai eu raison de ne plus défriser mes cheveux depuis déjà deux ans.

En effet, le défrisant avait réellement endommagé mes cheveux au point qu’ils étaient devenus très fins. Les tresses et autres coiffures avec une tonne de gel n’ont pas amélioré les choses.

Qu’est ce que j’étais contente de sentir mes cheveux défrisés sur ma nuque lorsque ma tante les a défrisés, la première fois à l’âge de 13 ans. J’avais l’intime conviction que je ressemblerais aux images de ces jeunes filles heureuses et « sourires ultra bright » qui habillent le packaging des kits de défrisant. Ces modèles sont-elles devenues « nappy » aujourd’hui ?

3 heures plus tard, je quittais le salon de coiffure situé près du métro Liège, l’afro léger de toute incertitude et fière de montrer mes cheveux naturels, non défrisés, sans tresses, ni camouflés sous un tissage.

970320_10152808928935307_560295587_n Source de l’image : Web

Mais peu à peu, les critiques de mon entourage deviennent acerbes. « Tu vas rester comme ça ? » «  Tu ne veux pas te coiffer ? » – comme si je ne l’étais pas ?!- « Faut faire quelque chose là… » Et tout ceci sur un ton qui frôle le dégoût. Ou encore « tu ne peux pas rester comme : ça va te casser les cheveux! »       -_- .

Mais j’avais aussi eu droit à des commentaires positifs comme « ça, c’est la vraie beauté africaine » soulignait un frère inconnu, sur le quai du RER A à Châtelet ou encore « ça te va super bien, je te préfère comme ça qu’avec tes rajouts »

Voilà déjà dix-huit mois que je porte mes cheveux afro. Je pense que mon choix fut très bien perçu à la maison. Autour de moi on apprécie en effet les résultats obtenus et de façon générale les réactions sont positives.  – Hawo, Dakar

Le jour du meurtre

Un soir de Septembre 2007, au détour d’une rue commerçante de Nanterre, dans une boutique d’alimentation spécialisée, j’achetais un kit de défrisant, sous la pression « esthétique » d’une amie ?!

Le meurtre avec préméditation s’opérait lentement suivant un rituel que j’avais évité de suivre pour le bien-être de ma chevelure  depuis déjà 2 ans et demi.

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Mon retour au naturel fut un LONG processus qui s’est étalé sur près de sept années. En effet, j’ai fait une première tentative de retour au naturel, en 2007, avec un BIG SHOP !!!. Ma démarche était claire je souhaitais me retrouver : affirmer ma personnalité et cela devait passer par ma chevelure.

Avec une amie on s’est fait une promesse de s’encourager mutuellement et de maintenir notre décision. Malheureusement cela n’a pas duré : 6 mois après, je revenais aux produits chimiques. Je n’ai pas réussi à tenir, car je ne trouvais pas ou peu de produits capillaires qui répondaient à mes attentes, ainsi que très peu d’alternatives pour les coiffures. Je n’étais peut-être pas suffisamment forte à l’époque pour affronter ses petites contraintes. Les  années suivantes, je défrisais mes cheveux, et portais des tissages et autres extensions… Pour enfin revenir à cette volonté de retour au naturel qui n’avait cessé de me trotter dans la tête malgré tout. – Christelle, Paris

Les promesses amicales soutenant que le fait de me défriser mes cheveux serait bien mieux que d’arborer cette « coupe afro négligée », me poussaient à l’erreur! Et la descente aux enfers capillaires se poursuivait avec la pose d’un tissage lisse, type carré plongeant : « ah oui, c’est bien mieux, t’es plus belle comme ça ! » Constatait l’amie criminelle.

Mais je n’étais pas convaincue, et je regrettais mon – notre ? – geste. J’en ai fait et en fais encore des cauchemars – qu’on me défrise les cheveux de force ! – d’autant plus, que mon cuir chevelu n’a pas supporté cette manip’ de plus et j’ai été sujette à une belle alopécie.

Je me suis faite la promesse de ne plus toucher au défrisant, et ce même en cas de grands découragements capillaires.

S’en sont suivies de longues minutes à brûler mes cheveux avec le fer à lisser ainsi que des tonnes de tissages : courts, longs, très courts, noir, bordeaux, marron clair, … De nombreuses matinées à courir à Strasbourg Saint-Denis, un foulard ou un bonnet sur la tête, par peur d’être en retard et d’avoir à attendre que ma coiffeuse agréée finisse de coiffer les plus matinales. S’en sont suivis de nombreux moments d’incertitudes doublés d’une certaine anxiété, sur le choix de la prochaine coiffure, juste après avoir retiré le précédent tissage, tel un masque de carnaval. Oui, s’en sont suivis de grands moments de stress à croiser les doigts pour que ma coiffeuse puisse me coiffer tel jour et à telle heure, mais aussi à éviter tous les racoleurs du boulevard de Strasbourg comme on évite les obstacles dans un jeu vidéo !

Ce stress cachait une crainte permanente : la crainte de révéler – à nouveau – mes vrais cheveux au yeux de tous, la crainte qu’il-s ne me trouve-nt pas belle, la crainte de ne plus respecter les codes de beauté et d’être exclue sur le plan esthétique.

A un moment donné, j’en ai eu marre de tous ces tissages et de mes cheveux abîmés. J’en avais marre de ne pas me trouver malgré ces épaisseurs de  « faux »  cheveux sur ma tête. Par conséquent, j’ai essayé de me rechercher moi-même. Je savais que j’étais quelque part, perdue entre ma dignité de femme de couleur et ma jeunesse – n’oublions pas que je n’ai que 19 ans à cette période ! – essayant de suivre la mode capillaire imposée par Béyonce et les autres chanteuses américaines. Ce que j’ignorais c’était que leurs coiffures coûtent beaucoup plus cher que le ridicule tissage à 50 euros je pourrais obtenir à Château D’eau – pour ceux qui savent ce que je veux dire ! – V.D.S., New-York

 Phase 2 : Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

J’ai retrouvé mes cheveux naturels il y a deux ans, fin mai 2012 exactement. Bien avant cette date, je pensais déjà au retour au naturel. Pourquoi ai-je décidé d’arrêter le  défrisage ? Mes cheveux étaient abîmés, cassants… et je les perdais un peu. Il fallait que j’arrête de les maltraiter ! – Jo Black, Paris

Fatim, ma coiffeuse agréée est totalement abasourdie lorsque je retire mon foulard et qu’elle découvre mes cheveux défrisés : « Mais qu’est que tu as fait ? Oh non, regarde sur les côtés !» Mais elle avait la solution et les techniques adaptées. Le tissage redevenait le moyen de camoufler ma chevelure estropiée par le défrisage.

2010, je me mets au goût du jour et découvre le phénomène Nappy made in US.- Ah en fait, j’étais Nappy avant ?! Et le redeviendrai… à l’abri des regards, mes cheveux camouflés sous un tissage.

Je choisis alors des rajouts dont la texture se rapproche le plus de celle de mes cheveux. Le bluff opère : on croit même que ce sont mes cheveux ! Puis, en fait je n’aurai jamais les cheveux lisses, à moins de les défriser à nouveau – chose inconcevable de mon vivant !- donc, à quoi bon faire des tissages lisses ?

Puis imagine que demain il y ait une rupture de rajouts et que toutes se disputent le dernier paquet de Darling Pony Tail couleur 3c ? Je ne ferai pas partie de l’émeute, c’est sûr !

Je tiens à remercier Nelly du LME Spa capillaires et ses bons conseils : « une bonne alimentation pour un corps et des cheveux sains. »

 

Phase 3 : Apprendre à s’accepter

En ce qui concerne l’acceptation de soi, je ne considère pas que se défriser les cheveux soit une marque de rejet de soi-même. Personnellement j’ai commencé à me défriser les cheveux à l’âge de 9 ans après avoir harcelé ma mère. Je voulais me coiffer comme la plupart des filles et femmes noires que je voyais à la télé.

Une chose qui me dérangeait particulièrement avec le défrisage c’était la dépendance au produit. Je ne pouvais pas gérer mes deux textures donc je me défrisais quasiment tous les 3 mois. À partir de 2009 j’ai commencé à espacer un peu plus les défrisages, je suis passée de 4 défrisages par an à 3; puis 2 en 2010. J’ai alors remarqué une nette amélioration de la texture de mes cheveux sans parler du fait qu’ils poussaient beaucoup plus vite à mes yeux. Le 22 juillet 2011, j’ai fait mon « Big Chop ». – Fama , Montréal 

Je mange mieux, et passe des heures à regarder des tutoriaux sur Youtube afin d’apprendre à entretenir mes cheveux naturels.

Un clin d’œil à Naturi Ebène, Black Girls With Long Hair, Mymou’s Channel, Black Beauty Bag, Révèle Toi entre beaucoup d’autres.

Avec l’expérience je connais de mieux en mieux les besoins de mes cheveux et apprends à les aimer. Je les soigne et j’invente des coiffures adaptées à mon style ainsi qu’à ma forme de visage. Le regard de mon entourage est tantôt amusé et tantôt admiratif. Je ne sais pas ce qui me gêne le plus : que les autres trouvent « amusant » le fait que je sois moi-même ou bien de constater qu’un « fait aussi naturel » puisse susciter autant d’admiration. Même si je comprends leurs réactions, j’aimerais que les choses soient différentes. Ma métamorphose me donne des idées pour un éventuel projet professionnel. Christelle, Paris

Et quelle motivation de voir toutes ces jeunes filles afro-descendantes porter leurs cheveux naturels à Paris, New-York, Londres, Abidjan ou encore Dakar!

Mon évolution capillaire a encouragé des femmes de mon entourage à passer au naturel. Jusqu’à présent, je n’ai eu que des remarques positives sur mes cheveux de la part d’hommes, de femmes, de personnes blanches, noires, maghrébines… et même chinoises. Je suis enseignante et c’est beau d’entendre des enfants, toute origine confondue, dire : « Maîtresse, tu as de beaux cheveux ! » Jo Black, Paris

Et aujourd’hui ?

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Pour moi être nappy, c’est avant tout réapprendre à s’occuper de ses cheveux en s’éloignant le plus possible de la sur-consommation de produits chimiques. « Ne met pas sur tes cheveux ce que tu ne mettrais sur ta peau » dicton Nappy.

Je n’aurais jamais pensé inclure des éléments de mon frigo, tels que les œufs, le miel ou du lait de coco dans ma routine capillaire auparavant. Je me ruinais dans l’achat de produits capillaires auparavant, sans me douter que LA solution était dans ma cuisine!

Alors que je ne me rends plus aussi souvent dans les points de vente de produits afro les plus connus type MGC, je constate que mes habitudes de soins pour mes cheveux aujourd’hui me coûtent moins cher. De plus, Internet reste la source principale en matière de découverte de soins pour cheveux afro.

Après une expansion fulgurante des blogs américains sur les réseaux sociaux et autres plateformes, ces derniers ont rendu ma décision plus facile. Plus facile, car, j’appréhendais le fait de revenir au naturel. Je redoutais de négliger mes cheveux sachant qu’ils devaient bénéficier d’un certain soin et que trouver les bons produits serait un gros problème au Sénégal. En effet, l’aspect économique peut être considérable lorsque l’on choisit une certaine routine pour ses cheveux. A Dakar, les produits destinés aux soins des cheveux afro ne sont presque pas disponibles sur le marché ou alors lorsqu’ils le sont, ne sont pas très abordables.

En ce qui me concerne, j’ai appris à connaitre mes cheveux. Je sais de quoi ils ont besoin ; naturellement très bouclés, ils me dispensent d’acheter de nombreux produits qui pourraient par exemple « définir mes boucles ». Même si je prépare la plupart de mes produits maison (chantilly de karité, huile de coco, etc.), je me suis néanmoins constitué un petit budget pour certains produits indispensables (Conditioner, ecostyler,..). Il convient de noter que ces produits chimiques dont je faisais usage tous les six mois ne me convenaient plus. Je voulais retrouver des cheveux vivants, volumineux mais surtout sains. – Hawo,  Dakar

En portant mes cheveux naturels, je dépense moins d’argent, et je fais davantage attention à la composition des produits.

On fait les comptes : Tableau des dépenses

 

Etre Nappy Ne pas être Nappy
Lait de coco 1,50 euros Brésiliennes, Indiennes (ou autres rajouts dits naturelles) : 150 euros (puis 70 euros un paquet à racheter tous les 2mois) ou deux paquets de mèches synthétiques 30 euros (x 2)
Shea Moisture 20 euros Pose du tissage 40 euros
Huile de ricin Black Castor Oil 10 euros Coloration Dark n’Lovely 5 euros
Œufs (dont consommation alimentaire) Kit de défrisage 5 – 7 euros
Bananes (dont consommation alimentaire) 2,8 euros Produits de soins (gamme complète) entre 70 et 100 euros
Après-shampoing Garnier Ultra doux Karité & Avocat 3, 8 euros Défrisage + soins (salon de coiffure, une fois tous les 2 mois) 55 euros
Coiffures ou tresses entre 0 euros (moi-même) ou 80 euros (dans les meilleurs jours)

 

Il y a 3 ans environ, j’ai (re)commencé ma transition vers naturel tout en continuant à me lisser les cheveux au fer à lisser ou suivant la méthode du lissage brésiliens. Cependant, j’éprouvais un réel sentiment d’insatisfaction. Depuis 4 mois seulement, je me suis résigné faire mon second Big Chop ; c’est surtout ma coiffeuse qui a coupé avec mon consentement extorqué ! Depuis, je fais des soins capillaires plus « simples »: j’utilise des poudres ayurvédiques, de l’huile et du lait de coco. Je me suis tournée vers une consommation au plus près de la nature et me documente beaucoup. J’ai finalement réduit mon budget de produit capillaire de 80%. Je n’achète pas de produits capillaires car leur prix est soit trop élevé ou leur composition ne répond pas aux normes « bio » car ils contiennent des composantes chimiques. – Christelle, Paris

Sans entrer dans un sprint de « qui aura les plus longs cheveux naturels » ou quelconque rivalité, j’essaie d’apporter les soins adaptés à mes cheveux. Ce n’est parce que l’huile de coco ou le beurre de karité sont réputés pour leur propriétés que ces produits sont adaptés à mes cheveux. Il est nécessaire de trouver la bonne équation pour entretenir ses cheveux.

Ma famille et mes amis ont trouvé que les cheveux courts m’allaient bien et pour ce qui concerne mon choix de ne pas défriser mes cheveux, ils l’ont compris. Les seules réactions que je peux considérer négatives ont été celles de personnes qui me connaissent moins et qui trouvaient contradictoire le fait de mettre des tissages tout en ayant les cheveux naturels. Il fallait trop souvent que j’explique que le fait d’avoir les cheveux naturels ne veut pas forcément dire que je suis contre toute autre option. Je ne considère pas du tout qu’une femme qui se défrise les cheveux ne s’accepte pas, chacun a le droit de faire ses choix capillaires sans avoir à être catalogué. D’ailleurs on peut tout à fait avoir les cheveux naturels et ne pas s’accepter pour d’autres raisons; ça ne veut rien dire ! Je trouve qu’il ne devrait pas y avoir de clans de défrisées VS naturelles, l’essentiel est de prendre soin de soi. Concernant le budget, il n’y a pas une grosse différence pour moi car je change beaucoup de style et je n’hésite pas à essayer de nouveaux produits. Pour conclure, je suis très heureuse de ne plus avoir à défriser mes cheveux. – Fama, Montréal

Je tiens à faire remarquer que porter mes cheveux naturels est une bonne arme contre le harcèlement de rue, qui peut paraître très pesant surtout à l’arrivée des beaux jours. Crainte, peur de l’inhabituel : je n’ai pas la réponse… Mais je suis bien dans mes baskets pour me promener tranquillement.

2. Peaux noires, cheveux de blancs

(…) un inventeur revendique la paternité du défrisant, un certain Garret A. Morgan. En ce début du XXe siècle, en pleine ségrégation raciale, les afro-américains font tout leur possible pour s’intégrer en gommant les caractéristiques physiques propres à leur groupe. A cette même époque, on assiste à l’invention du fer à boucler par Adam Frisby (1890), du peigne à lisser par Simon Monroe (1906) et enfin de l’ancêtre des pinces céramiques par Isaac K. Shero (1909). Désormais, les cheveux crépus ne sont plus une fatalité ; ils peuvent être lissés… du moins temporairement. 

Une femme du nom de Mme Walker s’insère dans ce créneau et développe une gamme complète de produits spécifiques aux cheveux crépus. Elle lance la mode du lisse dans la communauté noire-américaine grâce à ses campagnes de publicités dans les journaux et à des techniques de marketing agressives tels que le démarchage. (2)

D’une certaine manière, nous assistons au phénomène d’aliénation culturelle si bien développé par Frantz Fanon dans Peaux noires, masques blancs.

Comment avoir conscience de ce que l’on est réellement en adoptant des pratiques capillaires qui ne sont en adéquation avec ce que nous sommes réellement ?

J’apprends à me regarder dans mon miroir telle que je suis : je suis noire, avec des cheveux crépus. Non, je n’ai pas la chevelure de Pocahontas et ne l’aurai jamais !

Porter un tissage lisse relevait d’une masquarade que je me suis imposée, une hypocrisie capillaire qui a entravé mes relations dans les sphères socio-professionnelles. Comment me connaître réellement et projeter une image fidèle à ce que je suis, à travers une mise en scène trompeuse de moi-même ?

Aujourd’hui, 2 ans après, mes cheveux ont poussé et je les aime. J’aime ma tête avec mes cheveux naturels, d’ailleurs, je me préfère avec mes cheveux naturels ! Je n’ai jamais été fan des cheveux lisses (je n’ai jamais été tentée par un longggggg tissage fait de cheveux 100% indiens) donc c’est avec un grand plaisir que j’ai retrouvé les cheveux que la nature m’a donné. – Jo Black, Paris

Au bal de l’aliénation culturelle, infatigable je dansais sans me préoccuper du lendemain, me faisais courtisée sous une fausse identité. Mais minuit a sonné et mon tissage abîmé, je me suis retrouvée à m’interroger sur mon identité devant le même miroir.

Qui suis-je ?

« La civilisation blanche, la culture européenne ont imposé au Noir une déviation existentielle. » Frantz Fanon (1)

Et par extension, une déviation esthétique aux femmes – et à certains hommes – noir-e-s.

Je me suis regardée dans le miroir. J’ai regardé cette image, complètement erronée par ce que je m’imagine, et qui est absent. Je regardais mes cheveux, mettais mes mèches entre les mèches : mes cheveux étaient fragilisés, cassants et tombaient – pas une chute capillaire régulière, les filles. J’ai pris la tondeuse et ai tout rasé.

Je me sentais si libre, si heureuse, tellement en adéquation avec moi-même : je m’aimais ! Oui, j’aimais le fait que je pouvais laisser tomber quelque chose qui ne me définissait pas de manière appropriée. Je ne voulais plus être réduite à un morceau de tissage et/ou de perruque : Je voulais juste être moi. – V.D.S., New-York

Véritable berceau de réflexions sur l’identité noire, les communautés afro-descendantes des Etats-Unis popularisent deux visions esthétiques du cheveu afro avec, dans un premier temps le défrisant puis le mouvement de la revalorisation de l’identité noire prônée par le Black Panther Party, et ce à 70 ans d’intervalles.

Le mouvement Nappy s’insère dans une continuité de la revalorisation de soi défendue par les Black Panthers, trouvant des échos dans les anciennes puissances coloniales européennes – Royaume-Unis, France , Belgique – mais aussi dans les anciennes colonies qui, constituent un terrain de lutte entre cultures locales et mondialisation.

La force du mouvement Nappy est de s’ériger tel une barrière à la globalisation culturelle qui sévit aujourd’hui, pour ne produire qu’un modèle unique de canons de beauté calqué sur le modèle européen.

934780_10152143162306222_4352826020269350339_n Source de l’image: Web

Et par ailleurs, le mouvement propose une autre économie favorisant les initiatives personnelles et d’autres modèles économiques, loin des grands groupes qui, rouages du système capitaliste, ne proposent qu’une consommation homogène.

Ces mêmes groupes utilisent les labels « cheveux secs » « cheveux très secs » « cheveux frisés » «  enrichi au beurre de karité, huile de coco…etc » afin de diversifier leur offre et d’attirer une nouvelle clientèle, qui jusqu’à présent ne représentait qu’un faible pourcentage dans leur camembert d’études de marché.

Reste à savoir si ces produits sont adaptés aux cheveux afro. – J’ai juste testé le fameux après shampoing de la gamme Ultra doux Avocat&Karité de Garnier ;) .

 

La boucle est-elle bouclée ?

Le Noir a quitté le continent africain avec l’expansion de l’esclavage, sans tous ses attributs pour s’occuper des ses cheveux, sans ses plantes, ses huiles pour s’occuper de sa peau, favorisant l’utilisation de crèmes éclaircissantes et autres produits défrisants, pour s’intégrer dans la société blanche américaine.

Aujourd’hui, au zénith de la mondialisation, ces pratiques esthétiques néfastes se sont propagés dans les sociétés africaines, reproduisant les mêmes schémas esthétiques qu’aux Etats-Unis.

La boucle s’est-elle bouclée naturellement – sans faux jeu de mots – afin qu’aujourd’hui, des « organisations Nappy » fleurissent un peu partout sur le continent africain ?

Terres anciennement colonisées, et – anciennement – oubliées de la mondialisation, les sociétés africaines ont peiné à s’insérer dans cette dynamique internationale, s’appuyant sur des modèles sociaux et économiques non appropriés.

Conscientes de leur potentiel, ces mêmes sociétés promeuvent aujourd’hui des technologies et autres savoirs en adéquation avec leurs réalités.

Il est alors tout naturel que les Nappys de Babi – « Babi » pour Abidjan, Côte d’Ivoire – organisent un événement autour duquel elles valoriseront un modèle esthétique à l’ensemble de la société ivoirienne.

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© Nappys de Babi via Facebook

Né aux Etats-Unis afin de s’opposer à l’aliénation culturelle héritée de l’esclavage avec le mouvement du Black Panther Party,  pour se voir réellement telle que l’on est, indépendamment des idéaux culturelles de la globalisation culturelle, le phénomène Nappy atterrit en Afrique.

Or, qu’en était-il des femmes afro-descendantes en Europe  dans les années 1960-70? Ont-elles subit une influence directe des icônes africaines-américaines de cette époque?

Dans les années 1960, d’après le reportage de Janine Niépce pour le centre d’éducation des Africaines à Paris, la mode des cheveux marrés avec un foulard semble de rigueur, et  laisse  transparaitre – pas ou peu – d’ extravagance capillaire.

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(3) Reportage pour le centre d’éducation civique des Africaines à Paris, Cours de français, 1965, Janine Niépce © Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration

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(4) Reportage pour le centre d’éducation civique des Africaines à Paris, Etudiant et sa femme devant le Panthéon, 1966, Janine Niépce © Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration.

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Safi Faye dans Petit à Petit , 1969 – Source des images: © Jean Rouch, Petit à Petit via captures d’écran

L’influence s’est-elle opéré selon ce certain schéma? :

Etats-Unis (Volonté d’un retour à une réelle identité noire avec le Black Panther Party) > Europe (Intégration des codes esthétiques des Africains-Américains par les communautés afro-descendantes des diasporas) > Afrique (Influences culturelles des diasporas + Idéaux culturels des Etats-Unis)

Je pense que l’influence des chanteuses américaines a contribué à renforcer et consolider de façon pérenne le mouvement Nappy, avec notamment les figures d’Alicia Keys et ses tresses telle une princesse nubienne, ou encore de Solange Knowles – sœur de Beyoncé,  femme la plus influente selon le magazine Times.

Solange s’est considérablement imposée sur la scène musicale internationale suite à son « Big Chop » en 2009, donnant le ton capillaire aux autres chanteuses, mais aussi en influençant – malgré elle – toute une génération de jeunes femmes et ce à travers le monde.

Ces figures de la musique ont permis de véhiculer des canons de beauté différents de ceux mis en exergue dans l’imaginaire collectif. Elles exposent une autre beauté, une manière d’être belle autrement, tout en s’appuyant sur leur spécificité afro-descendante. Ce qui a préparé les esprits à reconnaître  et accepter le charisme de l’actrice Lupita Nyong’o, tout en souvenant de personnalité telles qu’Alek Wek…

Elles réussissent là où les icônes Joséphine Baker, Pam Grier ou encore les Claudettes Noires ont échoué, se heurtant à l’écueil du titre d’objet de curiosité hypersexualisé, réservé à la femme noire.

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o-SOLANGE-KNOWLES-facebookSource de l’image: Web

 

Une philosophie de vie, une mode, un mouvement contestataire, le phénomène Nappy s’exporte et se « créolise » pour devenir le langage capillaire internationale de l’affirmation de soi pour les femmes afro-descandantes.

 

Merci à mes Nappy Friends pour leurs contributions : Christelle, Fama, Jo Black, Hawo et V.D.S.

 

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En +:

(1) Frantz Fanon, Peaux noires, masques blancs, Editions du Seuil, Paris 1952, pp11.

(2) Source : http://www.mamiwata.net/index.php?page=une-histoire-de-cheveux-naissance-du-defrisage

Source des images (3) et (4) :  http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/reportage-pour-le-centre-d-education-civique-des-africaines-a-paris-de-janine-niepce

Petit à Petit de Jean Rouch (1969)

La biographie de Safi Faye

Sur african links:

Back to Natural (1)

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La publicité Garnier – Ultra Doux Avocat & Karité

Dark Skinned and Beautiful

La Figure de la Claudette noire

L’histoire du peigne Afro

Une étoile montante : l’actrice Lupita Nyong’o

Texte © Virginie Ehonian Tous droits réservés

Propos recueillis par Virginie Ehonian

 

 

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8 commentaires

  1. Merci pour ce bel article! Beaucoup de femmes, blanches comprises, aimeraient avoir des cheveux différents. Je suis blonde et ai permanenté mes cheveux longtemps pour les friser! Je fais suivre ton article à ma belle-soeur brésilienne…Et puis, une question: et les cheveux masculins? Il me semble qu’encore une fois les hommes sont moins enclins à ce genre de dilemne et acceptent mieux leur particularité. Qu’en penses-tu?

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