Une photographie en noir et blanc abîmée sur les coins, dépeint deux fillettes. Dans un décor sobre, statiques comme des statues d’un autre temps , le regard franc et imperturbable, elles fixent l’objectif et le photographe sans sourciller.
L’esthétique de l’image nous rappelle les studios de ces photographes sénégalais, maliens, ivoiriens ou encore congolais, amateurs ou non, qui immortalisaient le quotidien, sans avoir conscience qu’ils s’ancraient dans l’histoire nationale de leur pays, dans l’histoire de l’art de tout un continent, dans l’histoire universelle…
Comme rongée par les années, cette image altérée par l’amertume des souvenirs, trouve un second souffle sur le T-shirt « Korika » d’Afrikanista.
La découverte de cette photographie représentant la mère et la tante d’Aïssé N’Diaye lorsqu’elles étaient enfants, signe un déclic : « Je trouvais la photo tellement belle et forte que ça m’a donné l’idée de monter un concept à partir de là. Mon rêve était de monter une marque et à terme, d’être mon propre patron. C’est alors que me vint l’idée d’Afrikanista ».
Photographie personnelle © Afrikanista
J’ai eu le plaisir de rencontrer la fondatrice de cette marque m’a interpellée, car des photographies du célèbre Seydou Keita ornent également certains modèles de T-shirts.
A la frontière de la mode et de l’art, les créations d’Afrikanista s’inscrivent dans la sphère de l’histoire, et deviennent les vecteurs d’un héritage entre les cultures et les générations, tout en questionnant la société française d’aujourd’hui.
Le moment est venu d’en découvrir un peu plus !
© D.Ice Photography
Qui se cache derrière Afrikanista ?
Aïssé est une jeune femme férue de mode pour qui le style a une très grande importance. Chiner dans les friperies, la customisation, le vintage: elle a assez de créativité pour styliser ses tenues quotidiennes.
Sa profession de visual merchandiser lui permet d’entretenir sa sensibilité pour les vêtements, qu’elle affirme tenir de sa mère : « Ma mère qui est très coquette a l’art et la manière de sublimer sa beauté avec un rien ! » La créatrice puise également ses inspirations dans l’art et l’histoire de l’Egypte ancienne, pour lesquels elle se passionne depuis l’enfance.
Photographie personnelle © Afrikanista
Après une période de réflexions, la jeune femme nous confie qu’elle voit Afrikanista comme l’aboutissement de sa propre personnalité : « Je me suis toujours posée des questions quant à ma condition de femme, noire et africaine. Ça a commencé par mes cheveux avec un retour au naturel, puis l’estime de soi et une recherche sur mon histoire et mes origines. J’ai beaucoup questionné mes parents sur notre famille et notre arbre généalogique, mais également sur leurs vies, leurs expériences et leur arrivée en France. J’ai appris ensuite à reconnaître mes forces et mes faiblesses, ce à quoi j’aspire, à accepter mes qualités, mes défauts et mon physique.»
Une réelle détermination d’entreprendre anime Aïssé N’Diaye. Elle souhaite véhiculer ainsi une image unique qui lui soit propre : « Le message que j’aimerais transmettre à travers la marque est un attachement à nos racines, le respect de nos parents, la richesse de notre culture africaine à travers les hiéroglyphes égyptiens et les proverbes africains. »
Il ne s’agit pas que d’une histoire de T-shirt et de mode. Le vêtement devient un symbole universel qui touche toutes les cultures, à la croisée du style et de l’histoire. Ainsi, la marque permet aux moins avertis de s’intéresser davantage à l’œuvre de Seydou Keita, de découvrir des dictons africains ainsi que les hiéroglyphes égyptiens anciens.
Le concept d’Afrikanista s’appuie sur la transmission des savoirs et de la tradition. Et lorsqu’il s’agit d’inspiration afin de forger son armure d’entrepreneur, Aïssé N’Diaye n’hésite pas à citer Marcus Garvey : « l’ambition, c’est le désir de progresser et d’améliorer sa condition. (…) C’est vouloir ce qui en vaut la peine et se battre pour l’avoir. Avancer sans un regard en arrière jusqu’à ce qu’on ait atteint son but. » (1)
C’est sans étonnement alors que l’on découvre l’un des concepts d’Afrikanista, « Funky Diva » qui décrit une « une femme forte, indépendante, qui a confiance en elle ; et qui ouverte d’esprit, a son propre style, aime le mélange de matières, et surtout, est ambitieuse. »
Toujours dans une logique de s’adresser à un large public sans distinction de couleurs, de religions ou de genre, elle apporte une dimension faussement biblique avec dix commandements qui réglementent la philosophie d’Afrikanista.
En voici quelques uns :
– de tes origines fière tu seras,
– de ta famille tu t’inspireras,
– de tes rêves tu réaliseras,
– amoureuse de la vie tu seras,
– de l’ouverture d’esprit tu t’imposeras
© Demoiselle Coco
Le positionnement d’Afrikanista par rapport à l’art contemporain et la société française.
Aïssé N’Diaye nous apporte ses réponses quant à des questions qui touchent les centres d’intérêt d’african links.
african links: Quel regard portes-tu sur l’art dit « africain » : ses photographes, ses peintres, les acteurs de ce secteur?
Aïssé N’Diaye: Je trouve que l’Afrique regorge de « pépites » en terme de culture ! Les photographes qui saisissent souvent des instants de la vie quotidienne, des caractéristiques par rapport à une ethnie, la beauté de la femme africaine… Les peintres qui décrivent le quotidien, les sociétés africaines, la géopolitique… L’art africain est riche des différents pays composant notre continent. Et Ils qui ont chacun une spécificité en matière de culture, de tradition et d’histoire.
Pour moi les artistes africains ne sont pas assez mis en avant mais à côté de cela, depuis quelques années, le monde se tourne vers l’Afrique. Il n’y a qu’à voir les différentes expositions qui la mettent en valeur comme le musée du Quai Branly ou l’exposition « Congo Kitoko » à la Fondation Cartier. Je suis heureuse de découvrir de belles œuvres de mon continent. On a pas fini d’entendre parler de l’Afrique !
Sur african links : l’exposition Congo Kitoko
african links: Je vois Afrikanista comme un espace intemporel de dialogue entre les différentes cultures. C’est juste ou je me trompe?
Aïssé N’Diaye: Oui c’est juste! Afrikanista a une dimension intemporelle et est un maillon entre les différentes cultures qui composent l’Afrique. Même si la marque met l’accent sur la culture ouest-africaine dont je suis moi-même issue, elle peut parler à n’importe quelle personne puisqu’elle met en avant notre héritage, notre histoire et notre culture africaine.
african links: Quel retour as-tu de tes clients qui ne sont pas français ? Comment est perçue Afrikanista d’un point de vue internationale ?
Aïssé N’Diaye: Les clients non-français aiment beaucoup l’idée qu’ils trouvent à la fois fun et cool à travers les photos vintages de personnes ordinaires et les proverbes africains.
D’un point de vue international, j’ai de bons retours : la marque est audacieuse et forte d’un véritable concept. Pour moi, cela est très important que les gens puissent cerner l’authentique philosophie et les inspirations qui nourrissent Afrikanista. Ce n’est pas seulement une marque lambda !
Nos origines constituent une grande richesse à transmettre aux futures générations. Il faut être fier de notre identité en tant qu’africains et aspirer à s’élever en tant qu’être humain, avec un sentiment de confiance en soi
D’ailleurs un proverbe africain dit: « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens » !
© Demoiselle Coco
african links: La dernière collection capsule d’Afrikanista confronte l’idéal du « Vivre Ensemble » républicain à une certaine réalité sociale. Avec la phrase choc « Liberté, Egalité, Fraternité, Affaire de papiers » ou encore l’inscription de quartiers parisiens populaires sur les T-shirts, que souhaites tu mettre en évidence ?
Aïssé N’Diaye: A travers la dernière collection, je veux mettre en avant le fait que nous, les immigrés et enfants d’immigrés, nous faisons partie intégrante de la société française et nous contribuons à l’économie de celle-ci. Je trouve cela dommage que les minorités ici ne soient pas assez représentées dans les médias ou encore en politique. Il y’a un réel décalage entre la population et ce que nous pouvons voir à la télévision.
J’ai l’impression que les immigrés représentent tous les maux de la société française et sont des boucs émissaires lors des élections. Pourtant ce sont des hommes et des femmes qui occupent des emplois difficiles et ingrats pour gagner leur vie et subvenir aux besoins de leur famille. Ils méritent le respect et un peu plus de reconnaissance car des générations d’immigrés ont reconstruit la France après la Seconde Guerre Mondiale. Souvent humiliés, pas considérés, nos parents ont tout fait pour s’intégrer, au prix d’y perdre pour beaucoup d’entre eux leur dignité.
Afrikanista est en quelque sorte un hommage à mes parents, et à tous les parents du monde.
© Demoiselle Coco
Que souhaiter de plus à la marque Afrikanista, dont la nouvelle collection automne/hiver arrive courant septembre.
Retrouvez Aïssé N’Diaye et Afrikanista en novembre 2015 à l’occasion de la première édition du festival afro-urbain ArtPress’ Yourself.
Propos recueillis par Virginie Ehonian pour african links.
En + :
(1) Amy Jacques Garvey, Philosophy and Opinions of Marcus Garvey (1978)
Citation intégrale : « L’ambition, c’est le désir de progresser et d’améliorer sa condition. C’est une flamme qui éclaire la vie d’un individu et le fait de se voir dans un autre état. Être ambitieux, c’est être grand d’esprit et d’âme. C’est vouloir ce qui en vaut la peine et se battre pour l’avoir. Avancer sans un regard en arrière jusqu’à ce qu’on ait atteint son but. Être humainement ambitieux, c’est s’approprier le monde, qui est le domaine des hommes. Être divinement ambitieux, c’est offenser Dieu en rivalisant avec son infinie majesté. »
.
Wow! Amazing, je ne connaissais pas du tout ! J’aime beaucoup le concept… J’aime tout ! Aïssé m’a inspiré à travers ton article :)
Merci Jaelnoa! Aïssé apprécie également ;) Ravie que l’article t’aie plu
[…] au moment de chanter Ngoma Kurila mon équipe et moi-même, portons des T-Shirts de la marque Afrikanista sur lesquels est inscrit: « Liberté, Egalité, Affaire de papiers ». Un autre contexte mais […]