Pagne, wax et Politique

MANDELA-Collection Bernard ColletNelson Mandela, Collection Bernard Collet

La Maison de l’Afrique (du 6ème arrondissement, il y en a plusieurs apparemment !) propose des voyages sur-mesure aux quatre coins du continent. De Sao Tome e Principe à l’Ethiopie, en passant par le Sénégal et son pays Bedik, les offres des circuits et séjours présentés par la Maison de l’Afrique permettent de découvrir les secrets pluriels d’une Afrique contemporaine.

En parallèle, la structure organise tout au long de l’année des manifestations culturelles, entre expositions et conférences.

Ainsi, vous pourrez aller visiter Pagne de campagne, géopolitique d’un tissu mondial, jusqu’au 31 octobre 2015. L’exposition regroupe les pagnes de campagnes politiques de la collection de Bernard Collet, collectés durant ses voyages en Afrique, les impressions sur soie du peintre-graveur Simon Claviere-Schiele et enfin les créations de June Shop, marque créée par Nelly Mbonou.

J’ai eu le plaisir de rencontrer la créatrice afin d’en savoir davantage sur Juneshop ainsi que ses aspirations professionnelles et personnelles.

L’aventure June Shop

C’est tout en étant étudiante en philosophie que Nelly Mbonou dessine les prémices de la marque June Shop, en 2001, sans aucune notion de couture.

Sa volonté de réaliser des vêtements, est naît de la difficulté à trouver dans les différents commerces parisiens, les pièces de la garde-robe d’une jeune femme parisienne active alliant couleurs, wax et modernité.

Juneshop - Nelly Mbonou

© Al Rabuso pour June Shop

Car pour Nelly Mbonou qui est née à Yaoundé et a été élevée entre le Cameroun et la France, cela était essentiel de concevoir une gamme de produits conjuguant les inspirations d’Afrique et d’Europe, afin de rester au plus près de ses ambitions et de sa philosophie.

Petit à petit, de quelques modèles à des séries tests, le nom de June Shop circule de bouches à oreilles de clientes convaincues et satisfaites.

Où puise-t-elle son inspiration ? Tout simplement dans la vie quotidienne :  J’ai toujours aimé la mode et m’habiller. Je ne travaille pas avec les bureaux de styles ni les cahiers de tendances, et je ne regarde pas les défilés. Je vais plutôt chercher mon inspiration dans les films et les livres d’artistes. Mais l’inspiration vient directement de femmes qui ont un certain charisme ou un style particulier, que je croise tous les jours. Je n’ai pas d’icônes de mode, ni d’idoles ; cela ne signifie pas pour autant que je n’ai pas d’admiration pour certaines célébrités. Mais cela ne représente pas une source d’inspiration majeure pour créer. 

Pour Pagne de campagne, géopolitique d’un tissu mondial, June Shop met en vente ses créations à la Maison de l’Afrique, pour l’exposition.

J’ai été très contente que la Maison de l’Afrique me contacte. Lorsque l’on pense à faire une exposition sur la thématique du wax, et que l’on pense à mon travail : cela me fait plaisir avant d’être une reconnaissance! Et puis l’équipe m’a fait confiance, en me donnant carte blanche. Je leur ai soumis différentes propositions en toute liberté. J’ai pu recevoir un appui logistique, point sur lequel, je tiens à les remercier. Ainsi, j’ai pu atteindre un autre type de clientèle qui aime et qui connaît les pays du continent africain à travers le  tourisme et le voyage dont j’ignorais les principaux rouages décrit Nelly Mbonou, avant de poursuivre :  Mon travail s’appuie sur des identités fortes qui fonctionnent ensemble et qui inter agissent plutôt que de se fondre en une seule en un ensemble hétéroclite indéfinissable. Par exemple le terme ethnique recoupe beaucoup trop de choses… Ce qui m’a plu dans l’approche de la Maison de l’Afrique, c’est de valoriser ces mêmes identités notamment à travers le thème des pagnes électoraux. Il faut bien comprendre qu’en Afrique le pagne est une question culturelle ou presque. On fait des pagnes pour tout type d’occasions : messes, décès, naissances… Cela fait partie des mœurs et il apparaît comme un outil culturel et politique, sans pour autant s’arrêter aux effigies. 

JuneShop - Nelly Mbonou (3)

© Al Rabuso pour Juneshop

June Shop, c’est également une histoire de famille, et la créatrice n’a absolument pas couper les liens avec son pays natal : J’ai la chance d’avoir ma famille au Cameroun, qui peut faire le suivi, sinon, ce ne serait pas du tout possible. Ma mère s’occupe du contrôle qualité et de l’envoi par fret aérien. Je tiens quand même à travailler avec le Cameroun et pas seulement en exporter la culture. Et même à ma petite échelle,  faire fonctionner l’activité économique. Je collabore exclusivement avec la CICAM et non avec les firmes hollandaises: les pagnes sont produits au Cameroun à partir de coton récolté sur place Mon atelier à Yaoundé, que j’ai monté avec ma mère, compte sept ouvriers. Les séries y sont réalisées, après l’envoi du prototype que je réalise. Je me rends au Cameroun une à deux fois par an pour me fournir en matières, et faire le stock au changement de saison. Tous les mois je fais mon réassort en fonction des ventes et des modèles qui ont plus ou moins bien fonctionné, des tailles qui me manquent et des suggestions des clientes que je prends en compte avec attention. Une poche en plus, raccourcir, ou rallonger par exemple… Adapter les matières et le design, tout en restant au plus proche de la volonté des clientes, c’est vraiment quelque chose que j’aime faire. 

Le sujet des conditions de travail des employés ne demeure pas une question tabou pour la créatrice de June Shop: C’est important d’avoir un atelier qui fonctionne même si les activités de la marque ralentissent avec moins de demandes ou si je veux passer à une autre activité. Alors, une fois que les productions pour June Shop sont finies, les ouvriers peuvent utiliser les machines pour prendre des commandes à leurs propres comptes, ce qui leur permet de gagner beaucoup mieux leurs vies qu’en étant couturiers de quartier. De plus, ils sont rémunérés à la pièce et non au volume horaire, tout en respectant la philosophie d’un commerce responsable. Les prix de mes produits sont parfois contestés mais ils sont justifiés par le coût de salaires corrects versés aux employés et par toute la logistique entre le Cameroun et la France. Je me suis toujours poser des questions lorsque je recevais un devis avec un manteau qui couterait 2 euros, matière première comprise ! Mais avec le temps et face aux différents scandales en lien avec la grande distribution, les gens prennent de plus en plus conscience que cela représente une autre manière de consommer.   Il y a deux ouvrières qui me suivent depuis le début. J’ai établi avec elles et l’ensemble de l’équipe une  relation de confiance et un rapport familial, cela fait plus de dix ans que l’on travaille ensemble. Et le formateur de l’atelier était le couturier de ma mère à l’époque ; sa formation « à l’ancienne », a enrichi les savoirs techniques de chacun. Je leur envoie les photos des défilés et cela leur fait plaisir de voir et de réaliser ce que sont devenus les vêtements qu’ils ont réalisés.

Afro, Wax and France

L Senghor Collection Bernard Colle

Leopold Sédar Senghor, Collection Bernard Collet

Mais que signifie le wax dans le champ culturel français ?

Tissu perçu comme un produit brut africain, le wax est le parfait reflet d’une acculturation permise par la mondialisation. Fabriqué en Indonésie, commercialisé en Hollande et diffusé par les Africains de l’ouest, cette étoffe aux graphismes créatifs et aux couleurs les plus chatoyantes a su se réinventer au fur et à mesure des années.

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Ainsi, le wax devient un élément textile majeur dans les différentes sociétés Ouest-africaines. Religion, mariages, séries télévisées, grandes personnalités et politiciens deviennent des sujets graphiques qui envahissent les pagnes les plus à la mode.

Bernard Collet démarre sa collection de pagnes à effigies politiques dans les années 1990 ; aujourd’hui cet ensemble rassemble pas moins de 500 pièces. Il s’agit d’une véritable compilation de témoignages sociaux de différentes époques. Barack Obama, Léopold Sédar Senghor ou encore Ali Bongo représentent les visages politiques de l’Afrique. Les plus fervents fidèles de ces politiciens peuvent ainsi leur manifester le meilleur des soutiens, en portant des vêtements imprimés de leurs portraits.

Lire sur african links Barack Obama in Dakar 

Bien que certains hommes politiques français se soit invités dans certaines compositions aux côtés de leurs homologues africains – comme Valéry Giscard d’Etaing par exemple – je m’interroge sur la portée culturelle du wax en France. L’histoire de son origine est très souvent phagocytée au profit d’une dimension folklorique…

Nelly Mbonou m’apporte sa réponse : Aujourd’hui, dans la société française, on le voit de plus en plus ; je pense que le wax représente la liberté que ce soit en terme de variété de motifs ou de couleurs. Associé uniquement à l’Afrique ou par extension aux Noir(e)s c’est quelque chose qui n’existait pas dans la mode française. A mes débuts, j’ai souvent dû faire face à tout type de réflexions du style: « A vous [les Noirs], cela vous va bien ». Pas forcément… Dans les différentes communautés noires, il y a un panel de carnations de teints énorme, et le wax présente tellement de couleurs et de formes, qu’il suffit juste de trouver le bon tissu. La couleur ne peut être réservée qu’aux peaux noires et/ou métissées ! J’aime travailler le wax car c’est pour moi une source d’inspiration infinie  tout en le mélangeant avec d’autres matières pour en explorer toutes les possibilités de variations. 

Par extension, il y a toute une effervescence autour d’un « label afro » qui sous divers aspects aspire à saturer cette tendance dans différents domaines.

La créatrice s’exprime: Alors que de petits créateurs comme moi ont l’ambition de démocratiser le wax depuis quelques années, de grands couturiers – je n’ai pas la prétention de me comparer à eux – l’ont intégré dans leurs collections et cela a eu du succès au niveau des ventes. Je me suis dit que cela permettrait au grand public de comprendre qu’il s’agit d’un tissu avec une grande histoire et d’une grande valeur, qu’il est possible de travailler de manière créative et pas uniquement de manière dite plus traditionnelle. Aujourd’hui des créateurs travaillent ce tissu peut-être pour des raisons seulement mercantiles alors qu’auparavant, cela ne les tentait pas : c’est le jeu du business !

Cela dit, je ne suis pas fan du « tout wax », même si j’ai des demandes pour  d’autres créations d’intérieur en wax. Je peux en faire pour mon usage personnel, mais pas pour mes collections. Je m’attache à faire du prêt-à-porter féminin, en cohérence avec l’univers de June Shop, afin que mes vêtements ne soient pas reconnus uniquement parce qu’il y a du wax dessus, mais pour leurs graphismes et leurs essences .

mangrove - Simon Claviere Schiele

© Simon Claviere Schiele, Mangrove 

En tant que créatrice, Nelly Mbonou éprouve encore aujourd’hui des difficultés à donner de la visibilité à sa marque en France : Parler d’une créatrice « afro » qui travaille certains type de matériaux, reste compliqué pour les médias mainstream, car ils ont besoin d’une actualité sociale ou culturelle pour faire un reportage. Ils ont du mal à accepter que ce soit de la mode. Par exemple, j’ai été énormément sollicitée par de grands médias hertziens avec qui j’ai collaboré au moment du décès de Nelson Mandela en décembre 2013. Ou alors encore plus étrange, des organes de presse de la mode m’ont contactée suite aux attentats de janvier 2015, et à toutes les questions identitaires soulevées par ces événements. C’est malheureusement encore comme ça… En ce qui concerne le stylisme pour la télévision, j’ai déjà entendu des propos qui n’ont pas de sens: « On ne pas le faire porter cela à telle candidate parce qu’on a déjà fait porter de l’Africain la saison dernière. » C’est comme dire que la candidate ne peut pas remettre une robe noire, car d’autres en ont porté précédemment ajoute la créatrice. Les vêtements en wax restent encore très stéréotypés. Abordés par le biais de l’exotisme, ils ne sont pas encore considérés comme des vêtements à part entière. Lorsque j’ai sorti ma collection « Amazone », la plupart des articles dont Juneshop a fait l’objet, étaient issus de la presse anglo-saxonne, de New-York à Londres. Dans la presse française voire même « afro », j’ai eu beaucoup moins d’échos, alors que je suis basée Paris…

Que souhaiter de plus à June Shop pour 2016, qui va poursuivre sur sa lancée tout en développant la marque. En parallèle, Nelly Mbonou a d’autres ambitions : J’ai des projets qui entre culture et art, font la promotion de l’artisanat et de petites productions locales dans le textile et d’autres domaines.

Je suis curieuse d’en découvrir davantage!

Pagne de campagne, géopolitique d’un tissu mondiale, Entrée libre du lundi au samedi de 10 à 19H, jusqu’au 31 octobre 2015

Propos recueillis par Virginie Ehonian

En +:

http://www.maisondelafrique.fr

http://www.juneshop.net

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