Retour sur la Biennale de Lyon

La 13ème Biennale de Lyon ouvrait ses portes aux professionnels le 8 septembre dernier.
Ce fut une première pour moi, que de découvrir la ville de Lyon en pleine effervescence artistico-culturelle. Cela foisonnait de partout ! A chaque recoin de la capitale des gaules, une affiche, un élément de signalétique pour nous rappeler qu’il se trame quelque d’unique et d’exceptionnel. Au centre des questionnements de la biennale réside celui portant sur la création et la réception de l’œuvre d’art, ainsi que l’interrogation sur les interdépendances entre le moderne et le contemporain.

Le terme « moderne » reste-il encore aujourd’hui synonyme d’avant-garde, alors que notre époque  offre les outils pour créer plus et plus rapidement ?

BAC2015-LAVIEMODERNE

© La Biennale de Lyon 2015

Le titre de la biennale s’entrechoque avec les références historiques, mais le documentaire La vie moderne de Raymond Depardon, qui en 2008 dépeignait un portrait cru de la population rurale française, semble être au plus près de l’essence de cette nouvelle édition.

Lyon vs Paris : c’est la 2ème ville de France qui s’ élève face au centre névralgique culturel national ; et, c’est la périphérie qui grignote du terrain pour se rapprocher toujours un peu plus de l’épicentre.

Le commissaire invité Ralph Rugoff revient sur le statut spécifique d’une biennale qui est toujours rattachée à l’histoire et aux mœurs d’une ville.

Ainsi, l’installation Workers taking over the factory (2015) de l’artiste turc Ahmet Ögüt, s’intègre parfaitement dans l’historicité artistique de la ville de Lyon. Ses machines à coudre de l’époque sont détournées pour faire fonctionner des extraits de films des Frères Lumières.

Workers taking over the factory

 Ahmet ÖGÜT, Workers taking over the factory,2015

  Courtesy de l’artiste et de la Biennale de Lyon 2015

© Blaise ADILON

La symbiose de deux secteurs artistiques est permise par l’installation, qui repousse les limites du concept de modernité. L’alliance de ces deux outils, à savoir la caméra et la machine à coudre, produit un résultat sous l’emprise de son époque, qui remet en question les condition de travail des grandes firmes internationales du textile, ainsi que l’effort dans le processus de création et de confection.

Ögüt s’appuie sur les enjeux historiques, économiques et sociaux du cinéma et de l’industrie textile. A travers ces trois dimensions qui constituent l’essence même de l’œuvre, l’artiste recherche et traite l’information (avec l’histoire), questionne les aspects de sa recherche (avec l’économie) pour enfin rattacher son propos aux enjeux actuels (avec le social).

Le visiteur s’inscrit lui-même dans ce processus en devenant un acteur de l’installation, lorsqu’il actionne le mécanisme de l’une des machines. Workers taking over the factory est l’œuvre la plus significative en cohérence avec le titre de la biennale d’une part  au niveau de l’intégration dans le tissu local. Avec une mise en abîme habile du premier film des frères Lumière, Sortie de l’usine (1895) d’une part; et avec la hausse du chômage des ouvriers dans le secteur du textile, à Lyon d’autre part.

Alors quelle serait cette vie moderne dont la biennale de Lyon se propose de décrire l’idéal?

Pour reprendre les termes de Ralph Rugoff : l’art est un processus qui pose des questions. Mais n’atteignons nous pas une rupture intrinsèque dans le domaine de l’art, entre le moderne et le contemporain?

Car questionner le contemporain, revient à observer, tâter et examiner ce nouveau carrefour où la modernité perd ses allures de nouveauté, pour finir écrasée sous le poids de la contemporanéité qui en perpétuelle mutation, résonne avec le passé.

#laviemoderne sous un angle afro-centré 

En 2000, avec « Partage d’exotisme », la biennale de Lyon revendiquait « un regard simultanée sur l’art et le monde ». Dans la continuité de l’exposition « Magiciens de la terre », Jean-Hubert Martin (re)met en dialogue œuvres importées d’horizons éloignés et production contemporaine occidentale.

La 5ème édition de la biennale réunissait alors les artistes Georges Adéagbo, Farid Belkahia, Calixte Dakpogan, Touhami Ennadre, John Goba, Romuald Hazoumé, Esther Mahlangu, Aboubakar Mansarray, Yinka Shoniabare, Koulouma Sovogui, Pascale Marthine Tayou et Barthélémy Toguo.

Ainsi, les œuvres de ces 12 artistes représentant d’une certaine manière  « l’Afrique », furent sélectionnée par un comité scientifique réunissant anthropologues et historiens de l’art.

A l’occasion de la biennale 2015, la plateforme Veduta  revient sur                « Partage d’exotisme » ainsi que les précédentes éditions de la biennale, comme pour reconstruire un historique.

Entre résidences d’artistes, expositions dans la ville et au Musée africain, Veduta – dont le directeur est Abdelkader Damani – propose un parcours sur la problématique de la création et de la réception de l’œuvre d’art, qui confronte professionnels et amateurs de l’art, à travers différentes villes de la région lyonnaise. Ainsi, par exemple, une dizaine d’artistes exposés à La Vie Moderne investissent les commerces du quartier de Gerland pour y exposer leurs œuvres.

Toujours dans le cadre de Veduta, Musée Africain de Lyon présente l’exposition L’ancien et le moderne. Les œuvres de trois artistes sont sélectionnés pour nourrir une réflexion sur la rupture temporelle dans l’art. L’installation de Nedko Solakov (Bulgarie) fait le récit dérisoire de la collection d’un amateur d’art africain. Avec un premier degré bien mesuré, l’artiste bulgare inverse la circulation des œuvres d’art, de l’Occident vers l’Afrique.

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© Nedko Solakov, The Collector of Art (Somewhere in Africa there is a great black man collecting art from Europe and America, buying his Picasso for 23 coconuts…), bois, canisse, sable fin, noix de coco, ananas, caisses, textes manuscrits sur des cartons, oeuvres d’art empruntées, 400×400 cm, 1992- 2000, coll. macLYON – Photographie Blaise Adillon

Le ton de The Collector of Art introduit la réflexion du regretté Sidy Diallo (Sénégal), dont les peintures constituent des éléments de réponse face aux problématiques qui traversent le continent africain.

Capture d’écran 2015-10-20 à 23.32.56 © Sidy Diallo, Sapeur 1, acrylique et pastel sur toile, 150 x 200 cm, 2015

A travers son projet « sapeur de la république », le jeune artiste sénégalais, décrit le narcissisme 2.0 permis par les réseaux sociaux et les selfies. Ses compositions picturales racontent de manière brute, cette légèreté virtuelle.

Enfin, Ezra Wube (Ethiopie, Etats-Unis) retranscrit dans son travail cette dualité entre le traditionnel et le contemporain. Ainsi, à travers son travail vidéographique, il intègre des éléments de la culture populaire éthiopienne dans ses animations, afin de les rendre pérennes et de les intégrer dans un discours contemporain.

Capture d’écran 2015-10-20 à 23.33.10 © Ezra Wube, Wenzu, video, 3 min 09, 2011

Le musée Africain de Lyon détient une collection impressionnante d’objets de la vie quotidienne en Afrique de l’Ouest, datant du 19ème voire, du début du 20ème siècle. L’ensemble de la collection s’étend sur trois niveaux. Les missionnaires de la Société des Missions Africaines, ont compilé au fil de leurs voyages objets, photographies, masques et statuettes rituelles. Le musée constitue une réelle interface historique entre la France et l’Afrique, entre passé et présent ; enfin entre héritage et modernité.

Thématiques contemporaines d’Afrique dans la vie moderne  

Des agrafes métalliques sont enfoncées dans le sol de la Sucrière : cette violence latente laisse suggérer l’effort qui doit être fait dans une logique de réparation. Pour Traditional Repair, Immaterial Injury (2015), Kader Attia donne forme à cette blessure invisible qui fissure de génération en génération, l’imaginaire collectif des sociétés des pays extra-occidentales.

Son installation Les oxymores de la raison présente 18 vidéos d’entretiens menés avec des chercheurs en sciences humaines (philosophie, histoire, ethnologie, psychanalyse…), musicologues, griots et féticheurs. Ce sont divers points de vue qui convergent dans cet open space au sein duquel le visiteur déambule, et consulte ces contenus théoriques empreints d’une logique « fanonienne » mis à la disposition du grand public.

 Kader Attia, Les oxymores de la raison, 2015 – Courtesy de l’artiste, de la Galerie Nagel Draxler Berlin, de la Lehmann Maupin Gallery, New-York et de la Biennale de Lyon © Blaise Adilon

Les oxymores de la Raison

 Kader Attia, Les oxymores de la raison, 2015 – Courtesy de l’artiste, de la Galerie Nagel Draxler Berlin, de la Lehmann Maupin Gallery, New-York et de la Biennale de Lyon © Blaise Adilon

Lire: Kader Attia Repair 5 acts.

Sammy Baloji explore les archives coloniales belges qu’il re-contextualise dans un récit contemporain, questionnant la mémoire des blessures encore vives en République Démocratique du Congo.

Pauwel's Album, The album series

Sammy BALOJI, Pauwel’s Album, The album series, 2013, Courtesy de l’artiste, d’Imane Farès, Paris et de la Biennale de Lyon 2015 © Blaise ADILON

Ces traces historiques d’expéditions européennes au Congo, interagissent avec ses créations (livres, cartographies, montages photographiques, structure) pour nourrir la proposition pluridisciplinaire de l’artiste.

Pauwel's Album, The album series

 Sammy BALOJI, Pauwel’s Album, The album series, 2013, Courtesy de l’artiste, d’Imane Farès, Paris et de la Biennale de Lyon 2015 © Blaise ADILON

Le diorama conceptuel délimite un nouvel espace d’exposition dans le Musée d’art contemporain de Lyon. Cette mise en abîme renvoie le visiteur à sa propre part d’humanité, qui devient à son tour, un élément de l’installation.

10453338_10153278042534010_8129716676831115510_n Mohamed BOUROUISSA, série Shoplifters, 2014-15

Instagram: @african_links

Avec Shoplifters, Mohamed Bourouissa lève le voile sur  une pratique à laquelle s’adonnent les commerçants new-yorkais. Lorsqu’ils parviennent à prendre un voleurun voleur en flagrant délit , ils le prennent en photo et affichent le cliché dans leurs magasins. Bourouissa compile une base de données informelle, révélant des portraits d’anonymes qui entre désarroi et confusion, ne prétendent même pas de leurs droits à l’image.

The Hood Mohamed BOUROUISSA, The Hood, 2015, Courtesy de l’artiste, de la galerie Kamel Mennour, Paris et de la Biennale de Lyon 2015© Blaise ADILON

L’artiste algérien joue également sur les formes. Sa série de capots de voitures reflète les images de jeunes hommes qui se déplacent à cheval dans les quartiers de Philadelphie. Le reflet de ces cow-boys modernes en réinsertion sociale, est gravé sur ces débris de voitures, dont la puissance est phagocytée par la poésie de ces photographies édulcorées.

Ankole 9, Lake Mburo district, Nyabushozi, Western Region, Uganda, 2012

Daniel NAUDÉ, Ankole 9, Lake Mburo district, Nyabushozi, Western Region, Uganda, 2012, Courtesy de l’artiste, de Stevenson, Cape Town et Johannesburg et de la Biennale de Lyon.

Les portraits d’animaux de Daniel Naudé interrogent les relations entre l’homme et la faune dans un lyrisme métaphorique saisissant.

George Osodi dépeint à travers les photographies de la série Oil Rich Niger Delta le drame causé par l’or noir et la pollution au Nigéria. Les extractions de pétrole ont considérablement dégradé l’environnement ainsi que les conditions sanitaires des populations. La série Les Rois du Nigéria rend compte d’un système politique parallèle qui encadre et régit directement la vie locale.

LireNigeria Monarchs : George Osodi

 

La fin de la modernité?

Pneus de voiture déchiquetés (Ed Ruscha Gotor, 2014), éventrés (Mike Nelson), ou flambants neufs dans l’installation de Simon Denny (The Personal Effects of Kim Dotcom, 2014) ; tuyaux de douches détournés dans les compositions photographiques d’Yto Barrada ; constellations performative de boules de béton sonores chez Otobong N’Kanga ; les objets du quotidien mis en culture par Michel Blazy ou encore les perruques sans volume de Nina Beier… Tant d’œuvres interrogent les limites de la modernité à l’heure contemporaine de la mondialisation. A l’heure où la technologie rend obsolètes ces rebuts de la société, anciennement modernes, qui se réinventent aujourd’hui.

Wetin You Go Do ?

Otobong N’Kanga, Wetin You Go Do, 2015, Courtesy de l’artiste et de la Biennale de Lyon © Blaise ADILON 

Quelle est cette vie moderne, je m’interroge encore. Est-ce celle prédite par la violence muette du film Landscape of energy de l’artiste taïwanais Yuan Goang-Ming ou le néant paisible de Surface of Spectral Scattering (2014) de Magdi Mostafa?

En + :

http://www.biennaledelyon.com

http://www.musee-africain-lyon.org

 

 

 

 

 

 

 

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