Otobong Nkanga, Comot Your Eyes Make I Borrow You Mine, vue de l’exposition, Fondation Kadist, Paris, 2015. © Aurélien Mole
Aux alentours de 18h, jeudi 22 octobre : j’arpente l’escalier d’honneur de la Monnaie de Paris, pensant être en retard pour la performance de l’artiste Otobong Nkanga, qui dans le cadre de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain, qui se déroule chaque année à Paris ), y présente une performance.
Traversant les salles de l’exposition Take Me (I’m Yours) d’un pas pressé, je tombe sur l‘artiste qui vêtue d’une sorte de combinaison avec une table intégrée, manipule avec des gants blancs telle une chimiste, l’arsenal de son processus artistique, et discute avec un groupe de visiteurs curieux et amusés.
Pierres précieuses, extraits de plantes, matières organiques et naturelles, tout cet ensemble a été soigneusement collecté par l’artiste, qui le met à disposition du public. C’est à l’issue d’une conversation privilégiée durant la performance, que le visiteur a la possibilité de choisir un élément de la sélection.
Ainsi, les uns qui suivent et écoutent attentivement les échanges des autres avec l’artiste, en apprennent et en découvrent davantage sur chaque composant. De simples remarques à des questionnements plus poussés, la performance suit son cours, et quelques visiteurs de Take Me (I’m Yours) s’attardent autour d’Otobong Nkanga pour partager un fragment de son art.
Otobong Nkanga, Tsumeb Fragments, 2015. Détail de la sculpture. Fondation Kadist © Aurélien Mole
Otobong Nkanga
Basée à Anvers, en Belgique, Otobong Nkanga a une démarche pluridisciplinaire qui s’articule autour de la photographie, la vidéo, la performance, l’installation et le textile, dans une logique d’interactions significatives, entre les matières organiques et leurs contextes socio-historiques.
Expérimentant des éléments de la vie sociale ou de la géographie, propres au continent africain, l’artiste d’origine nigériane explore des interstices thématiques avec subtilité et minimalisme. Car les processus artistiques d’Otobong Nkanga se déploient tels des étapes expérimentales. Scientifique de l’émotionnel et de la mémoire, elle accorde à la performance une force qui vient soutenir son propos.
Son art est en perpétuelle mutation (1) ; il questionne la topographie de l’espace, en écho avec ce monde qui change et qui est en constante évolution. La symbolique de la mémoire reste le ferment de toutes ses recherches et de sa démarche d’artiste.
Un Land Art 2.0
L’exposition Comot Your Eyes Make I Borrow You Mine présentée actuellement à la Fondation Kadist, révèle les investigations d’Otobong Nkanga dans la ville minière de Tsumeb du nord de la Namibie.
Comot Your Eyes Make I Borrow You Mine rend compte du bouleversement qu’ont subi la région et cette ville namibiennes, au gré des époques coloniale et postcoloniale.
Et c’est à la frontière entre le passé et le présent qu’intervient l’œuvre de Nkanga. Avec un témoignage artistique direct, l’artiste se veut être l’interlocutrice parfaite pour relater l’histoire de la mine de Tsumeb, qui est totalement laissée à l’abandon aujourd’hui. Ancien terrain de prospérité et d’une d’activité économique intense, cette mine reste la marque d’une rupture temporelle brutale.
Otobong Nkanga, Remains of the Green Hill, 2015.Video. Fondation Kadist Paris. © Aurélien Mole
Dans la continuité de la philosophie du Land Art proposée par l’Américain Robert Smithson (1938-1973), Otobong Nkanga collecte les matières, et permet ce bouleversement entre les visions du spectateur et de l’artiste.
Ce dialogue direct avec le public s’intègre dans un dispositif expérimental qui s’érige comme une œuvre d’art complète et protéiforme. L’artiste se joue de la dimension institutionnelle et adapte son œuvre à l’espace d’exposition, tout en repoussant l’imaginaire de l’audience à l’extérieur de l’espace même, avec des références frontales et lointaines dans le temps et/ou l’espace.
Ainsi, la frise murale, la vidéo-performance, et l’installation concordent avec le lieu de la Fondation Kadist afin de proposer aux spectateurs une expérience artistique exceptionnelle.
Otobong Nkanga, Wall Drawing, 2015, Fondation Kadist Paris. © Aurélien Mole
La démarche d’Otobong Nkanga transcende les disciplines et le temps pour restituer un récit au sein duquel le regardeur trouve sa place, afin de mieux interagir de manière spontanée avec l’œuvre et l’artiste, toujours avec cette volonté de dépasser les limites institutionnelles.
Nkanga revisite le Land Art en connectant différents médiums, et en interconnectant des fragments historiques dans le système de l’art, par des actions non monumentales, mais qui valorisent la proximité entre l’objet d’art et le spectateur. La relation art-nature s’ouvre sur un troisième pilier majeur qui est la mémoire.
Le souffle coupé, et espérant être à la hauteur face à toutes ces matières précieuses dont j’ignorais le nom scientifique, je me lance dans un simple dialogue, sans complexe et repoussant mon anxiété. « Quelle est cette matière ? Est-ce du sable ou du sel ? Cela permet-il une interaction spécifique avec les autres éléments ? »
Ainsi, l’artiste m’informe qu’il s’agit d’un sable ultra fin qui était utilisé dans la fabrication des pièces d’or à la Monnaie de Paris, notamment pour les polir.
Je conserve cet échantillon de matière qui, d’une part marque ma participation à la performance d’Otobong Nkanga, et d’autre part, me permet d’avoir accès à l’histoire du patrimoine culturel parisien.
Crédits Photos : Comot Your Eyes Make I Borrow You Mine, Paris, 2015. © Aurélien Mole pour la Fondation Kadist,
En+ :
L’exposition Take Me (I’m Yours) jusqu’au 08 novembre 2015 à la Monnaie de Paris. Plus d’info ici
L’exposition Comot Your Eyes Make I Borrow You Mine, jusqu’au 20 décembre 2015, à la Fondation Kadist. Plus d’info ici
Otobong Nkanga est représentée à Paris par la Galerie In Situ – Fabienne Leclerc . Plus d’info ici
(1) Catalogue de l’exposition Africa Remix, Centre Pompidou, Paris, 2005. Simon Njami, Ville et Terre, « Cette notion de chantier d’espace en perpétuelle mutation se retrouve également dans les photographies d’Otobong Nkanga » (…) p179.
Très intéressant, merci pour la découverte ;-)
Merci Mamande! & Merci pour tes astuces cheveux ragazza ;)