La semaine du 19 octobre 2015 marquait les ouvertures simultanées de plusieurs foires d’art dans la capitale. Le Grand Palais, la Cité de la Mode et du Design et le Carreau du Temple s’établissaient comme de nouveaux points cardinaux sur la boussole parisienne de l’art contemporain.
Sur le modèle d’une véritable biennale, la FIAC « Hors les Murs » jalonnait un parcours dans la ville, permettant à un plus large public amateur d’art ou non, d’admirer des œuvres d’art exceptionnelles et monumentales,
Ainsi, nous pouvions re-découvrir sous un nouvel angle, l’oeuvre In Pursuit of Bling :The Transformation (2014) d’Otobong Nkanga ; ou encore les installations de Kader Attia (Mimesis as Resistance, 2013 et Measure and Control, 2013) au Musée national d’Histoire naturelle. La sculpture extraordinaire de Vivien Roubaud (Gonflable, contrepoids, transmission scooter électrique, lustres à pampilles, collecteur tournant, chaîne de moto, quatorze mille litres d’air, 2015 ; représenté par la Galerie In-Situ Vivienne Leclerc) s’inscrivait à la perfection dans le décor du Jardin des Tuileries ; tandis que « les espaces dans l’espace » de Dan Graham (Two Nodes, 2015 et Passage intime, 2015) conféraient une atmosphère de film de science-fiction à la Place Vendôme .
Quelles tendances, quels artistes sont mis en avant durant ces multiples foires, qui pendant quelques jours seulement, deviennent des points névralgiques et éphémères du marché de l’art international ?
african links revient sur la FIAC, OFFICIELLE, SLICK Art Fair et YIA, à travers une sélection d’artistes et de galeries.
La SLICK Art Fair, Pont Alexandre III
Dans l’ombre de la FIAC et du Grand Palais, la SLICK Art Fair poursuit son chemin avec cette 10ème édition. Entre Paris et Bruxelles et ce depuis 2006, la foire se revendiquant « à taille humaine », promeut la scène émergente de l’art contemporaine . Ouverte à tout public, des moments VIP exceptionnels, des ateliers pour les enfants… la SLICK Art Fair semble réunir les meilleurs atouts d’une foire d’art dont l’accès et la visite en seraient décomplexés. Près d’une trentaine de galeries internationales se ont alors rejoint le rang des exposants.
La Uprising Art a présenté pour cette édition 2015, une sélection d’oeuvres entre peinture et photographie d’artistes cubains.
Mabel Poblet Pujol, Trillizas, 2010 Courtesy Uprisieng Art
Mabel Poblet Pujol (1986, Cuba) a une démarche artistique « relationnelle ». En confrontant des éléments de son intimité au monde extérieur, elle questionne cette frontière entre l’art et le réel. Pour Trillizas, elle recouvre une photographie de petites fleurs en plastiques, réalisées par des femmes détenues en milieu carcéral, lors de séances de travaux manuels. L’artiste intègre ces éléments, dans sa composition narrative, afin d’amplifier la charge émotionnelle de son œuvre, et de donner une voix à ces femmes oubliées de la société.
Ibrahim Miranda (1969, Cuba) réinvente les cartographies des villes en y superposant des formes animales. Ses compositions trouvent un écho aux dessins de la Préhistoire, et questionnent l’aménagement du territoire ainsi que cette « utopie urbaine » qui lui est si chère.
Représentant des artistes caribéens, Uprising Art ne se résume pas qu’à la vente d’œuvres d’art. L’entité se veut être un relais du rayonnement de la création contemporaine des Caraïbes, à travers sa participation à des événements internationaux mais également sur internet. L’insularité et la sous-représentation des Caraïbes sur la cartographie de l’art contemporain, sont des défis que Uprising Art souhaite relever.
OFFICIELLE, Cité de la Mode et du Design
OFFICIELLE est le nouvel événement de la FIAC, qui pour sa seconde édition consécutive réunissait pas moins de 69 exposants à la Cité de la Mode et du Design.
Tel un laboratoire artistique en parallèle de la FIAC, OFFICIELLE présentait en exclusivité le concept Prints Things and Books qui permet aux bourses les moins garnies de se procurer une sérigraphie à partir de 100 euros ; mais également des galeries dont les artistes émergents ou ré-émergents abordent l’art contemporain sous un angle de vue qui casse les codes classiques, avec des propositions à la frontière de l’art et du contemporain.
Gonçalo Mabunda, Sans titre, 2015
Courtesy Magnin-A
Sur le stand de Magnin-A, place à la création du continent africain et des artistes inspirés par l’Afrique, avec les œuvres d’Amadou Sanogo, Chéri Samba, Omar Victor Diop, Joël Andrianomearisoa, Gonçalo Mabunda ou encore Nathalie Boutté.
Du côté de la Galerie Arnaud Lefebvre, lumière sur l’artiste caribéenne Hessie qui, à travers ses compositions textiles, a su séduire le monde de l’art français dans les années 1970. La galerie d’art tunisienne Selma Feriani, présentait les oeuvres de l’artiste saoudienne Maha Malluh.
Comment OFFICIELLE et la FIAC conjuguent les différents espaces temps de l’art contemporain ?
La FIAC, Grand Palais
Bienvenue au Grand Palais, dans la cour des grands. Elle semble très lointaine, cette époque où l’événement se déroulait au Parc des expositions de la Porte de Versailles. Prestige et décor grandiose se combinent à merveille pour offrir un cadre d’exception à 173 exposants, qui composés à 68% de galeries européennes, attirent toujours plus de visiteurs d’une année à l’autre. Un public varié et tiraillé entre amateurisme et professionnalisme, foule les allées de la foire, en mémorisant à chaque pas un fragment de l’événement sur son smartphone,
Un nouvel horizon artistique se dessine avec la nouvelle dynamique apportée par les exposants sud-américains; les galeries allemandes prennent des risques en terme de propositions aux collectionneurs. Tout comme le démontre les galeries berlinoises Captain Petzel, avec des pièces ultra-conceptuelles de Natalie Czech (1976) qui mêlent poésie et photographie; ou encore Micky Schubert qui représente Sung Tieu (1987).
Sung Tieu, Alien Refugee Collection, 2015 Fiberglass child-size mannequin, nylon fabric 101 x 40 x 30 cm
Courtesy : Sung Tieu & Micky Schubert
Pour Alien Refugee Collection, Sung Tieu questionne la perception de l’altérité. Plus connu sous le nom de « sac Tati » ou « sac Barbès », ce cabas en polypropylène d’une contenance de 127 litres, est devenu un symbole international et identitaire des communautés qui immigrent en Europe.
Pour sa collection Printemps/Eté 2007, la maison Louis Vuitton reprenait ce sac pour le transformer en produit de luxe. L’artiste Sung Tieu, s’appuie sur cette récupération, pour élaborer tout un travail autour de cette proximité entre privilégiés et discriminés, en lien avec les enjeux des inégalités sociales.
Ces dernières années et l’actualité ont été marquées par de grave accidents, au cours desquels, des hommes, des femmes et des enfants venus d’Afrique ou encore du Proche et du Moyen-Orient ont tenté de rejoindre l’Europe, par tous les moyens.
L’artiste d’origine vietnamienne, basée à Berlin, démontre la puissance du langage universel de ce sac en plastique, le confrontant à nouveau au domaine du luxe, de manière expérimentale, et déjouant avec ironie, les mécanismes du marché de l’art et du secteur de la mode.
Vue d’exposition, FIAC 2015, Galerie Jérôme Poggi
© Aurélien Mole
Courtesy Galerie Jérôme Poggi
La Galerie Jérôme Poggi présente le projet Flowers For Africa de l’artiste Kapwani Kiwanga, qui remet en question la reproduction et les limites de la pérennité de l’œuvre d’art. D’après des archives historiques, l’artiste recompose des bouquets de fleurs utilisés pour des cérémonies d’indépendance de pays africains.
Kapwani Kiwanga, Flowers for Africa : Ivory Coast, 2014
Protocole écrit et signé par l’artiste, documents iconographiques
Dimensions variables
Pièce unique
© Aurélien Mole
Courtesy Galerie Jérôme Poggi, Paris
Créant une passerelle entre le passé et le présent, entre la décolonisation et le post-colonialisme, Kapwani Kiwanga élabore avec finesse ces détails subtils qui s’imbriquent de manière implicite, en tant que détails, entre les histoire du pays colonisateur et de son ancienne colonie. Durant la FIAC, l’artiste canadienne a également présenté une conférence-performance: A Conservator’s Tale (2015) .
D’après le Rapport annuel d’Artprice (Le marché de l’art contemporain, 2014), Pascale Marthine Tayou figure parmi les artistes africains les mieux « installés » sur la scène internationale. Représenté par la Galleria Continua, l’artiste plasticien camerounais témoigne d’une démarche pluridisciplinaire et d’une œuvre protéiforme. Sculpture, photographie, œuvres monumentales et installations, lui permettent d’élaborer un langage plastique compris de ses contemporains.
YIA Art Fair, Carreau du Temple
Cette foire est totalement dédiée à la jeune création internationale émergente. Pour l’occasion, ce sont près de 65 galeries qui sont réunies dans la halle du Carreau du Temple. Il s’agit de la 5ème édition du salon, qui fondé en 2010 par Romain Tichit, est animé par l’ambition de décloisonner et de fluidifier les espaces de foire d’art, afin d’encourager le dialogue entre les œuvres d’art et la communication entre les exposants.
Jan Hoek, Sweet Crazies series , 2011 © Jan Hoek
Jan Hoek, Sweet Crazies series , 2011 © Jan Hoek
La galerie Ron Mandos présentait deux photographes: l’un sud-africain et l’autre hollandais. Jan Hoek (1984) élabore une photographe brute à mi-chemin entre le documentaire et le photojournalisme. Chine, Ghana, Pays-Bas… Hoek mène ses projets en transcendant les frontières et les codes. Ses modèles sont loin d’être les sujets habituels que l’on retrouve sur papier glacé: c’est beau, c’est lisse mais à un moment, cela coince quelque part. Pour sa série Sweet Crazies (2011), réalisée en Ethiopie, ses sujets sont des hommes atteints de troubles mentaux, photographiés comme des personnalités publiques. Jan Hoek redonne de la dignité à ces citoyens – qui ne sont pas totalement rejetés : la population leur apporte une assistance, à travers des dons de nourriture ou de vêtements – le temps d’une séance photo.
Mohau Modisakeng, Untitled (Metamorphosis 3), 2015
Les autoportraits du Sud Africain Mohau Modisakeng (1986) sont façonnés par son propre héritage culturel, de jeune homme noir ayant grandi sous le régime de l’Apartheid. Ses compositions questionnent son identité à travers un langage corporel, qui oscillent entre la sculpture et le rite.
Roman Moriceau, BOTANISCHE GARTEN (MEISE) I, 2015
Courtesy of Archiraar Gallery
La galerie belge Archiraar présentait des artistes qui entre art conceptuel et sobriété décorative, exposent une nouvelle vision artistique esthétique et engagée.
L’univers de Roman Moriceau (1976) s’appuie sur un design épuré et une subtilité d’exécution, qui questionnent une nouvelle manière de faire. Peinture photochromique (Peinture qui se révèle sous l’effet des UV), pigments de cuivre, sérigraphies à l’huile de vidange, chiures de mouches… Moriceau explore de nouveaux modes de production et repousse les limites de la perception de l’œuvre d’art.
Caroline Le Méhauté (1982) interroge la relation à l’espace de l’œuvre d’art. Ses installations et ses œuvres permettent un dialogue entre les matières, les différents univers et enfin entre le lieu d’exposition et le monde extérieur.
Caroline Le Méhauté, NÉGOCIATION 43 – ACTIVITÉ DES OBLIQUES, 2011
Peat of coconut and mixed media 36x65x39cm Edition of 2
Courtesy of Archiraar Gallery
Du local au global sur le marché de l’art
Une fois par an, la capitale parisienne vibre aux pas de ces nombreux visiteurs des foires. Ces différents angles de vue du marché de l’art permettent de représenter la pluralité intrinsèque à l’art contemporain.
Ainsi, la jeune création, les grands noms de l’art, et les nouveaux horizons artistiques sont mis en lumière, afin de rendre compte des multiples facettes de la scène internationale. Les artistes chinois conservent leurs places dans le haut classement des ventes, aux côtés des références de l’histoire de l’art moderne comme Jean Dubuffet, ou contemporain comme Gerhard Richter ou Georg Baselitz.
Des artistes du continent africain sont représentés par des galeries européennes ou encore américaines: mais où sont les galeries d’art africaines ? Et quel est le poids réel des artistes africains ou caribéens sur le marché de l’art international ? L’absence même des galeries sud-africaines (Stevenson et Goodman Gallery) reste étonnante.
La foire 1 :54 (Londres) s’est inscrite sur le calendrier des rendez-vous de l’art contemporain londonien, en parallèle de la Frieze, permettant ainsi un autre regard sur la scène internationale. AKAA (Also Know As Africa) dont la 1ère édition aura lieu début décembre 2015, aura le champ parisien de l’art libre – un peu trop, avec la Foire d’Art Basel en parallèle à Miami ?
Le foisonnement de foires et d’événements dits plus « spécifiques ou thématiques » (Outsider Art Fair, macparis, le Salon de Montrouge depuis 1955…) contribuerait-il à désengorger la cour des grands qu’est la FIAC ? Ou permettrait-il simplement d’échelonner les étapes intermédiaires avant d’atteindre le saint Graal ?
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