Et elle marche Dorothy ; elle marche toute seule dans les rues du Watts (1), telle une héroïne déchue emprise sous l’emprise des contrariétés de la dure réalité.
Au milieu de toutes ces voix, de toutes ces opinions qui entre politique, pessimisme et militantisme retentissent et convergent vers elle, Dorothy repousse ses propres émotions dans l’alcool et une passivité qui va se transformer au fur et à mesure du film, en fougue impétueuse…
Bush Mama, 1975 © Hailé Gerima
Bavures policières, droits de la femme, racisme, luttes pour les droits civiques : Gerima couvrent avec une puissance artistique ces sujets d’une haute importance, à travers un détournement de l’image et du son, d’une finesse exceptionnelle. Dès le début, le décor est planté: Bush Mama débute sur des images l’interpellation musclée d’Hailé Gerima et de son équipe de tournage.
Face à des dilemmes, le personnage central autour duquel gravitent tous ces sentiments, ces pensées, ces idées, défriche son identité de femme noire parmi les problématiques socio-économiques et politiques des Etats-Unis des années 1970. Dorothy devient alors un corps symbolique et social, replaçant les violences faite sur le corps du citoyen noir au centre du propos du film.
Alors étudiant à UCLA, Hailé Gerima réalise Bush Maman qui est son film de fin d’étude ; dans son équipe de tournage, apparaît le nom du réalisateur Charles Burnett avec lequel il se lit d’amitié.
Bien que Gerima insiste sur les imperfections techniques du film, il signe avec Bush Mama une prouesse cinématographique inédite et époustouflante, parvenant à jouer sur la temporalité même du film, brouillant les repères du spectateur qui se concentre uniquement sur le jeu des acteurs, la scénographie et les dialogues. Hailé Gerima convoque ainsi une négritude historique contemporaine face à une violence sociale frontale.
En +:
(1) Watts est un quartier de Los Angeles, il est situé dans le South Los Angeles. Historiquement, dans ce quartier vivaient majoritairement des Afro-Américains. En 1965 et plus récemment en 1992, le quartier a été le théâtre d’importantes émeutes raciales. Source: Wikipédia
Hailé Gerima, Bush Mama, 1975, 98 min, avec Barbara O. Jones (Dorothy) et Johnny Weathers (T.C.)