Beya Gille Gacha, Venus Nigra, Série « SYMBOLIQUES DE DÉMEMBREMENT », 2016/2017.
african links: Beya Gille Gacha, comment êtes-vous arrivée à l’art ou comment l’art est arrivé à vous ?
Beya Gille Gacha : J’ai grandi dans un environnement où la culture était très présente. Ma famille a réellement participé à mon éveil artistique. Plus précisément ma mère et ses sœurs qui, ayant le goût des belles choses, m’ont permis de développer mon sens de l’esthétisme.
Certaines de mes tantes ont eu un rôle particulier. Zoeka toujours entourée de créateurs ; Brigitte, l’écrivain dont les portraits réalisés par des artistes amoureux tapissent ses murs ; Ly, styliste et dont la collection présente des œuvres de toute l’Afrique ; Meko, qui m’a créé et offert ma première robe de bal ; ou encore Lucie, qui m’a fait découvrir Ousmane Sow sur le Pont des Arts.
Petite, j’écrivais de petits contes philosophiques illustrés. En grandissant, mon intérêt pour les mangas m’a également mené à la création. Comme d’autres artistes de ma génération, j’ai été touchée par la force artistique et narrative de ces dessins-animés japonais dont les héros, entre abnégation et sacrifice, se battent jusqu’à la mort pour défendre le bien. J’ai très vite voulu reproduire ces univers et apprendre le dessin ; je me suis tournée vers un lycée d’Art Appliqués où j’ai découvert l’histoire de l’art et les arts plastiques. C’est précisément à ce moment que j’ai su que je voulais devenir artiste.
Parfois rebelle, je ne voyais pas trop d’intérêt à intégrer une école d’art au risque de me retrouver « formatée », et d’apprendre ce que je pouvais déjà apprendre toute seule. Néanmoins, assoiffée de connaissance, je suis entrée à l’Ecole du Louvre. Les cours étant purement théoriques, j’ai quitté la formation au bout de deux ans et je me suis concentrée sur ma pratique.
D’une certaine manière, je pense que j’étais prédestinée à agir dans le domaine culturel et artistique.
Beya Gille Gacha, B.G.29.04.1997, Série « IDENTITÉS #1 », 2016/2017.
african links : Tantôt commissaire d’exposition, tantôt artiste ? Comment parvenez-vous à conjuguer ces deux casquettes ?
Beya Gille Gacha :
J’ai une casquette principale et immuable qui est celle d’artiste. Le commissariat est venu sans trop que je m’y attende. L’envie de monter un collectif d’artistes en 2013, m’a poussée à définir et réaliser les expositions thématiques qui me tenaient à cœur puis je me suis prise au jeu !
Dans ma démarche artistique, mes œuvres sont des fenêtres ouvertes vers l’échange et le partage. J’aime parler de mon travail au public, afin d’enrichir ou d’être enrichie, comme j’apprécie rencontrer d’autres artistes. La richesse d’une rencontre peut m’inspirer un prochain thème d’exposition. Mettre mes œuvres en confrontation ou en parallèle avec d’autres formes d’expressions, des visions et pensées différentes, est quelque chose qui me plaît.
Concevoir des expositions a alors été une suite logique. Personne n’a le monopole de la raison, j’estime que seule la mise en activité de plusieurs cerveaux peut nous mener vers une vérité. Agir avec les autres, soutenir et promouvoir sont des valeurs qui suivent mon engagement dans l’art. L’union fait la force, non?
Les expositions que je réalise sont dans la continuité de mon travail plastique, ils fonctionnent ensemble tout comme ils peuvent exister séparément. Sur le plan intellectuel, ces deux pistes me semblent nécessaires.
Aujourd’hui, la principale difficulté se trouve au niveau de l’organisation et il est difficile de tout gérer au quotidien. Mes œuvres ont un processus de création très long, et le fait d’être la curatrice qui est à l’écoute des autres artistes, cela demande énormément d’énergie. Face aux difficultés, parfois je ne sais pas moi-même comment je mène tout de front !
Beya Gille Gacha, B.G.29.04.1997, Série « IDENTITÉS #1 », 2016/2017.
Beya Gille Gacha, K.A. 24.01.1991, Série « IDENTITÉS #1 », 2016/2017.
african links: Dans votre travail, on peut ressentir une dimension multiculturelle qui transcende les frontières esthétiques. Comment alliez-vous les valeurs historiques de l’artisanat dans le contexte de l’art contemporain ?
Beya Gille Gacha: Comme dudit, je reste très attachée à l’histoire et l’histoire de l’art. J’adore comprendre, chercher, découvrir, et au delà d’une explication raisonnée, j’ai simplement le cœur qui bat pour tout ce qui est ancien. Lorsque vous évoquez cette « dimension culturelle qui transcende les frontières esthétiques » dans mon travail, j’en reviens à cette simple capacité d’émerveillement avec laquelle je travaille chaque jour, et qui me pousse à voir et me nourrir de la beauté peu importe où se pose mon regard. De ce fait, je ne me sens pas enfermée dans une culture, et, tout en gardant un certain recul, voire un détachement, je peux et veux m’inspirer de tout.
Pour ce qui est d’allier l’artisanat ou les productions historiques dans mon art, j’admet prendre ce que je veux, piocher ce qui me plait. Je reste dans la poésie, utilise ainsi les codes tirés de ce qui me fascine, pour m’exprimer dans le contexte dans lequel j’évolue. Il s’agit davantage d’utiliser ces valeurs historiques comme un outil au service de mon expression ; comme un matériau que je tord et façonne à mon gré. Je ne suis pas de règles strictes : je ne cherche pas à reproduire mais je m’accapare les éléments que je trouve pertinent pour une œuvre, je délaisse ce qui me parait inutile, quitte à le réutiliser dans un autre contexte.
Cela est en phase avec mon caractère et ma philosophie : je ne suis ni conservatrice ni contestataire. Je pars du principe selon lequel nous aurions tout en main pour évoluer ensemble, intimement et en commun, si nous savions reconnaitre et prendre uniquement ce qu’il y a de bon dans le passé, et jeter le reste.
Beya Gille Gacha, Tends la Main, Série « SYMBOLIQUES DE DÉMEMBREMENT », 2016/2017.
Beya Gille Gacha, Orant #1 détail, Série « SYMBOLIQUES DE DÉMEMBREMENT », 2016/2017. © Seka
Propos recueillis par Virginie Ehonian
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