Un instant suspendu dans le temps entre deux pays, deux villes. L’une sur une île, l’autre sur un continent. L’oeil de Mialy Raoilison nous plonge dans le brouhaha des transports en commun parisiens et le tumulte silencieux de marché «Bazary Be» de Toamasina à Antananarivo.
Et les murmures de la rame de métro semblent résonner en échos jusqu’au bruit de balais fantômes qui hantent le marché.
Comme suspendu entre deux réalités sur la ligne de linge des souvenirs, ces deux photos s’accordent avec une sagesse et une fausse amertume derrière l’objectif de la photographe Mialy Raoilison.
Virginie Ehonian
Pour la Nooru Box, et african links, la photographe Mialy Raoilison propose de partager son travail photographique. Rencontre!
© Mialy Raoilison, Maka aina, 2018
african links: Quels ont été les débuts de l’aventure artistique?
Mialy Raoilison: Je suis arrivée en France à l’âge de seize ans; c’est au lycée que j’ai découvert l’histoire de l’art. Contrairement à la volonté de mes parents, j’ai suivi mon cursus en Arts Plastiques à l’université Marc Bloch de Strasbourg. Cette formation m’a permis d’apprendre davantage sur la méthode du dessin automatique et du croquis. Puis j’ai poursuivi mes études avec deux Masters le premier en Esthétique de l’art, le second en Art contemporain. Mon travail de recherches universitaires s’est soldé par deux mémoires sur l’art contemporain malgache, plus précisément sur la situation de l’art photographique à Madagascar.
african links: Pourquoi la photographie?
Mialy Raoilison : Au cours de ces enseignements, j’ai eu l’opportunité d’être formée en sténopé par un photographe malgache, Fidisoa Ram. J’ai pu me familiariser avec cette technique, et le résultat, l’esthétique du sténopé me plaisaient beaucoup. Cela se rapproche davantage du graphisme et de l’écriture que du dessin que je continuais de pratiquer depuis ma formation initiale. Le sténopé, dérivé du camera oscura est l’ancêtre de l’appareil photographique! C’est aussi l’appellation du petit trou percé dans une mince plaque métallique, qui fait office d’objectif dans un dispositif photographique. Cet « appareil » est très utilisé donc dans la Foto Povera qui se base sur un principe des « pratiques pauvres » – titre d’un ouvrage de Jean Marie Baldner et de Yannick Vigouroux – c’est-à-dire de prendre des photos avec des appareils photographiques amateurs et dont le but est de se défaire de la dite « belle photo ».
J’utilisais l’appareil stenopé et bien après, les smartphones car, ce qui m’importe ce n’était en aucun cas l’esthétique propre à la « belle photo » définie selon la « règle des tiers »; mais plutôt la traduction de mes émotions à l’instant « T » de la prise de vue. La photographie en noir et blanc Maka aina – choisie pour la Nooru Box – ( « prendre le souffle » en français) démontre bien cela. Elle n’obéit à aucune règle: ce qui importe ici, c’est cette scène qui reflète ce Moment, cet Instant où le monde (métro) suspendu au-dessus d’un pont reprend son souffle et respire de nouveau. Durant cette bribe de secondes où l’on sort du gouffre de la terre, on aperçoit la lumière, la vie et l’espoir. Puis on plonge de nouveau dans cet abîme, dans ce tracas quotidien qu’est le fameux « métro-boulot-dodo ». Par ailleurs maka aina signifie aussi « pause » en malgache, avec l’idée d’être juste ailleurs.
Le résultat photographique donné par ces appareils me rappelle surtout l’esthétique de l’écriture, du graphisme des carnets de croquis : l’imperfection, la trame, le flou, entre autres qui traduisent plus les émotions, les mouvements et les interrogations de cet instant crucial de mon trajet. De part la rapidité des choses qui nous entourent et par commodité, j’utilise moins les carnets de croquis et les plumes. Et pour faciliter mes prises de note, j’ai donc choisi mon smartphone, qui reste pour moi l’OUTIL indispensable … désormais.
© Mialy Raoilison, Marché de Toamasina (2018)
african links: Au-delà du dessin, qu’est-ce que la photographie vous permet-elle de traduire et d’exprimer ?
Mialy Raoilison: Je ne cherche pas la « belle photo », je veux juste imprimer mes sentiments, mes questionnements et mes indignations. Sur cette photo que j’ai prise sur le Marché de Toamasina (2018)- photo disponible dans la Nooru box –, je voulais traduire le son et l’odeur de ce brouhaha matinale dans ce marché. Dans un premier temps, l’image nous « laisse entendre » le bruit du balai du monsieur au premier plan, le sifflement des passeurs, les bruits des couteaux qui découpent la viande, les commerçants qui commencent à étaler leurs produits… Une image normale pour une début de marché. Pourtant dans une deuxième lecture, cette photographie est issue d’une série sur le thème global du « rôle de la femme dans la société malgache ». Chez les malgaches, notamment dans le centre de la grande île, les femmes doivent s’occuper du foyer et des taches ménagères. Quant à l’homme, il va au travail et ramène l’argent pour faire vivre son foyer. Cette photographie contrairement à cette idée reçue, seuls des hommes balaient, cuisinent et donc travaillent… pour gagner leurs vies. Paradoxe ! Oui Madagascar est le pays des paradoxes !
© Mialy Raoilison, Inty aho, 2012.
A Madagascar, on dit d’une femme qu’elle est une « Fanaka malemy », ce qui signifie «un mobilier fragile », autrement dit « la femme est plus faible que l’homme ». Ne cautionnant pas ce dicton, dans son « premier sens », j’ai commencé à investiguer et à m’interroger dessus.Je travaille beaucoup sur le statut de la femme aussi bien dans son environnement sociale que familiale. Le questionnement sur le droit de la femme m’importe beaucoup.
La société malgache dans laquelle j’ai été élevée, et celle je vis à présent me font réfléchir sans cesse au rôle de la femme, son statut, son pouvoir, son droit et son image. C’est ainsi qu’à travers mon travail photographique, je tiens à apporter une réponse, un « coup de gueule » à ce « ny vehivavy dia fanaka malemy » (la femme est un meuble fragile) dont la signification reste bien plus complexe… A travers Inty aho (me voici) 2012, je veux montrer et démontrer l’un des rôles de la femme malgache, à savoir celui d’administratrice de la maison, du foyer. Cette photo toute en couleur, nous fait voir les différentes facettes que peuvent ou DOIVENT avoir la maîtresse de maison. Douce, accentué par le flou du premier plan, MAIS une poignée de force, toujours au travail, avec ces ongles noirs, et surtout prête à dégainer au moindre problème. Comme le dit l’adage: « une main de fer dans un gant de velours ».
Propos recueillis par Virginie Ehonian
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