Nana ou est-ce que tu connais le bara?

A travers cette troisième création signée du collectif LA FLEUR, ce sont trois villes qui se rencontrent de manière inattendue. La danse, le théâtre et la musique permettent de revisiter le roman d’Emile Zola, tel un conte moderne des années 2010.
Les marqueurs du temps sont gommés; les langues, à savoir le Français, l’Allemand, le Nouchi sont mélangées; enfin les frontières sont abolies le temps des monologues vertigineux qui nous forcent à prendre de la hauteur sur le partage des cultures. Les textes sont libres, afin de laisser davantage de place à la maîtrise et la spontanéité des gestes et mouvements des corps.

Entre l’institutionnalisation du coupé décalé, la superposition des corps d’une Nana blanche et d’une Nana noire, la question de la prostitution… La création du collectif LA FLEUR interroge et questionne l’oeuvre littéraire « Nana » à la lumière de la globalisation culturelle d’aujourd’hui.

Hambourg: « Tu te cherches comme tu peux ».

Monika Gintersdorfer est la metteure en scène du spectacle, et la co-fondatrice du collectif LA FLEUR qu’elle crée en 2016 avec Franck Edmond Yao. Elle revient sur sa découverte du coupé décalé.

 » J’ai découvert le coupé décalé à ses prémices en 2004. A cette époque, je vivais entre Paris et Hambourg, où il y avait une importante communauté ouest-africaine. Ma rencontre avec Abdoulaye Kone alias Bobwear, a été déterminante: je l’ai vu danser, bien habillé… J’étais fascinée! C’est grâce à lui que j’ai assisté à mon premier show de coupé décalé: il y avait du champagne qui coulait à flots, jusqu’au sol! C’était dingue et digne d’un happening d’art.

Par la suite j’ai rencontré d’autres artistes puis Franck avec qui je me suis bien entendue. J’ai pu alors décoder ce courant musical et me familiariser avec ses principaux acteurs durant ces dernières années. Bobwear a créé des costumes spécialement pour la pièce. »

Paris: Nana vient de la Goutte d’or.

 « Nana grandissait, devenait garce. A quinze ans, elle avait poussé comme un veau, très blanche de chair, très grasse, dodue qu’on aurait dit une pelote. (…) Ah! une jolie pépée, comme disaient Les Lorilleux, une morveuse qu’on aurait encore dû moucher et dont les grosses épaules avaient les rondeurs pleines, l’odeur mûre d’une femme faite. » – extrait de L’Assommoir d’Emile ZOLA

« Nana » est le surnom d’Anna Copeau est une jeune femme qui fait tourner la tête à la gente masculine, du comte Muffat au comédien Fontan, dont la jeunesse de Nana est décrite dans L’Assommoir (1877) d’Emile Zola.

Nana est originaire de la Goutte d’or dans le 18ème arrondissement de Paris, qui est reconnu aujourd’hui pour sa mixité sociale, et ses commerces exotiques. Cet ancien faubourg ouvrier durant la période de l’Empire, si bien dépeint par Zola, résonne avec les cultures populaires à partir de l’illusion d’une Afrique dans le mythique Château Rouge de Paris, qui est un endroit important pour les membres du collectif.

Nous assistons à la transposition du Château Rouge de Zola, fief des ouvriers et du Château Rouge d’aujourd’hui, quartier populaire aux accents d’une acculturation africaine. Mais aussi à la transposition du corps d’une Nana d’hier, au corps d’une Nana d’aujourd’hui qui joue du langage de la danse pour séduire ses amants, son public… Pour survivre.

Pour sa précédente création Les Nouveaux Aristocrates, Honoré de Balzac avait déjà inspiré le collectif. Monika Gintersdorfer et Franck Edmond Yao apprécient la précision de ces auteurs français qui permettent de mener des recherches, de nourrir des analyses sociologiques à partir de documentation.

Abidjan: « Est-ce que tu connais le bara? »

Mais que signifie le « bara » ? Réponse de Franck Edmond Yao, le chorégraphe de la pièce :  » Bara se traduit par « travailler » en dioula . Mais en nouchi – argot de Côte d’Ivoire- il y a deux significations. Le premier, « Je suis en train de faire mon bara » veut dire d’une certaine manière au sens propre que je gère mon petit business à l’abri des regards. En revanche, au sens figuré « bara » prend un tout autre sens et veut dire « faire l’amour ». Cette expression a d’ailleurs inspirer l’un de mes titres. Dans le coupé décalé, nous n’avons pas l’habitude d’analyser, mais plutôt de vivre les choses. Et là, à travers le théâtre, c’est une autre manière d’exprimer les codes de ce style musical. »

Le collectif LA FLEUR repousse les limites en ouvrant le coupé décalé à d’autres problématiques, d’autres sujets. Il devient un moyen, un vocabulaire, un langage corporel au service de sujets transverses exprimé par un groupe mixte pour attirer un public venant de tout horizon.

Propos recueillis par Virginie Ehonian

Photos et vidéo © MC93 2019 – Réalisation Félix Schoeller – felixschoeller.fr

 

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