Je regarde le bout de papier qui me sert de pièce d’identité. On me l’a donné au Ngobila 11. On le donne à tous les Congolais qui arrivent ici. Là-bas, au Congo, on donne le même bout de carton kaki qui remplace tout. Je crois que c’est une sottise. Si je vole, si je me bats, si je commets un forfait, à cause de ce carton, tous les Congolais commettront mon forfait. Si je me bats, on me demandera mes pièces et, dès que j’aurai présenté mon carton anonyme, des conclusions seront tirées : les Congolais se battent, les Congolais volent, les Congolais déconnent. Et mon délit sera rendu communautaire. – Sony Labou Tansi, Le sexe de Matonge (1984) (1)
Kishasa, quartier Matonge, où la nuit a d’autres couleurs. La musique populaire y a domicilié son fief. Dans ce contexte de fête et d’agitations urbaines, dans une atmosphère humide d’une nuit ardente de plaisirs, Sony Labou Tansi interroge, questionne l’identité, interroge son appartenance à une communauté, une nation… En quoi la perception des actions d’un individu peut-elle influer sur la perception d’un groupe ? La généralisation comme prémices à la stigmatisation, au racisme…
Le nom de Sony Labou Tansi vous dit-il quelque chose ? Qui est-il ? Un artiste, un designer, un footballeur ?
Sony Labou Tansi est un écrivain congolais, né deux ans après la Seconde Mondiale. À l’heure postcoloniale, entre engagement et critique du régime politique, il écrit, compose avec ferveur des mots, des textes, un langage cru et sans complexe pour dénoncer son époque.
Romans, théâtre et poésie sont les flèches qu’a à son arc Labou Tansi.
Visuel de communication, © Le Tarmac.
Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi, est une pièce écrite par Bernard Magnier, – qui a longtemps collaboré avec Sony Labou Tansi – mise en scène par Hassane Kassi Kouyaté. Marcel Mankita et Criss Niangouna donnent voix et vie à l’œuvre de l’écrivain, disparu il y a maintenant une vingtaine d’années.
« Sony Congo … »
Des images de guerre ouvrent le spectacle. Le « Congo » va mal…
La situation politique de la République Démocratique du Congo (RDC) donne le la au spectacle, qui dépeint la vie de l’écrivain. Cette lecture de son œuvre s’appuie sur des éléments biographiques qui sont entrecroisés avec des micro-interprétations de pièces théâtrales de Labou Tansi, comme Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha (1992).
Sony a plusieurs casquettes et une forte personnalité. Il se redéfinit lui-même à travers son nom d’auteur : Sony écarte son prénom Marcel, et y accole les noms de son père (Labou) et de sa grand-mère (Tansi). Une étape nécessaire pour ce précurseur de l’art de manier les mots.
C’est d’ailleurs une intéressante mise en abîme que ce soit Marcel Mankita qui interprète le rôle de Sony Labou Tansi : c’est comme une renaissance de l’écrivain sous les yeux des spectateurs, à travers un acteur du nom de Marcel.
Le spectacle vante et valorise l’œuvre de Sony Labou Tansi, en jetant sur un grill encore chaud, les lignes et les paroles contestataires qui ont habillé les ouvrages de l’écrivain. Mais il présente et introduit la succession d’écrivains dont Labou Tansi était le chef de file. Sylvain Bemba, Alain Mackanbou, Henri Lopes, Marie-Léontine Tsibinda, Emmanuel Dongala, pour ne citer qu’eux, sont les figures d’une fratrie qui a un rôle majeur dans la sphère intellectuelle congolaise et qui s’appuie sur un foisonnement riche d’idées nouvelles, dans un Congo fraîchement indépendant.
Ce panorama de la scène littéraire congolaise contextualise l’œuvre de Labou Tansi, l’ancre et en lui attribue une place dans l’histoire du Congo, tout en l’aseptisant des plus viles critiques.
« …ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi ».
En 1979, il fonde la troupe Rocardo Zulu Théâtre. À travers ce nom, tout est dit : un attachement à une identité « africaine » révolutionnaire et la volonté de rester en marge pour mieux protester, servent d’écrin idéologique à l’œuvre de l’écrivain congolais.
Les deux protagonistes du spectacle se renvoient la balle dans un duel sémantique, qui a lieu sur un ring éphémère. Formé d’un cercle de livre, ce terrain d’affrontement voit deux mémoires s’affronter. Celle qui se souvient et titille la mémoire qui vit encore, et la mémoire qui ne s’éteindra jamais. Elles ne font plus qu’un, pour que leur symbiose soit pérenne, intemporelle, et que l’œuvre de ce « Black Shakespeare », ce « Molière noir » ou encore ce « Ubu d’Afrique », traverse les époques et les siècles.
Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi, © Pierre Van Eechaute.
Ce dialogue intemporel entre les deux acteurs fait retentir les lignes contestataires d’un « Afro-humain » farfelu, qui a eu six romans publiés à son actif et pas moins de trois pièces jouées la même année à Paris, de son vivant.
Même s’il a inspiré Guy Lenoir ou encore Jean-Pierre Klein, Sony Labou Tansi ira jusqu’à dire : « Je crois que l’Afrique est encore incomprise en France ».
Sony Labou Tansi n’est le « nègre » de personne et son engagement prononcé lui vaudra d’être victime de censure à plusieurs reprises, tant il s’engage à dénoncer la corruption en politique et l’oppression du peuple. «C’est l’art qui produit des engagements » déclarait-il.
Ce sont cette capacité de s’ériger au rang des modèles de l’Afrique contemporaine et ces questionnements sur « se mettre debout par soi-même », dont a fait preuve Sony Labou Tansi, qui influenceront le théoricien Achille Mbembe, pour l’écriture de son ouvrage De la postcolonie :essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine (2000). (2)
Tout au long du spectacle, la musique porte le poids des souvenirs, et les fait voguer vers l’inoubliable : La rumba fait vivre. La rumba peut servir de vie, d’avenir, de présent, de passé, d’éternité provisoire. (1)
Qui est Sony Labou Tansi ?
À la fin de la pièce, je n’ai pas de réponse précise. Il était un peu de ci, un peu ça, pour être en fin de compte être une figure incontournable d’une Afrique contemporaine, dont l’oeuvre a encore un peu, beaucoup de mal à résonner jusqu’en France.
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Du 11 au 14 février 2015 au TARMAC
Toutes les infos ICI
SAMEDI 14 FÉVRIER : JOURNÉE SPÉCIALE SONY LABOU TANSI
(1) Sony Labou Tansi, Le sexe de Matonge, Autrement, hors-série, n° 9, 1984, p. 257-265
(2) Penser par éclairs et par la foudre, Entretien de Seloua Luste Boulbina avec Achille Mbembe, Collège international de Philosophie | Rue Descartes, 2014/4 – n° 83 (pages 97 à 116).
Au crépuscule de ce siècle, je voulais savoir ce qu’il en était du projet de se mettre debout par soi-même qui avait été si central dans notre avènement à la modernité. Sony Labou Tansi s’était posé exactement la même question.
Les informations ici présentes sont relativement intéressantes. J’ai beaucoup aimé, cet article est vraiment bien ficelé et agréable à lire. Pas mal du tout.
Elsa Bastien / streetpress.com
Merci Esla Bastien pour le commentaire et la visite! Je connais bien streetpress également!